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SOUVENIRS DE CAPTIVITÉ EN ALLEMAGNE.

qui doit avoir été celle de plusieurs milliers de ses compatriotes. Il se mit à douter que l’Allemagne eût vraiment été forcée à la guerre par les machinations de l’Entente, et je remarquai que sa foi dans la sagesse du gouvernement commençait à fléchir. Il lui reprochait surtout d’avoir mal choisi ses alliés. Son mépris pour l’Autriche s’affirmait avec exubérance, et je fus frappé de constater qu’il pensait en cela comme presque tout le monde. Que de fois n’ai-je pas entendu regretter, avec une entière bonne foi, que l’empereur n’eût pas pris la France comme partenaire ! « Si nous avions eu les Français avec nous, ai-je entendu dire par un soldat, nous aurions sabré l’univers. » (Wir hätten die ganze Welt niedergesäbelt). Il semblait vraiment, tant l’inintelligence de l’Europe était complète chez ceux qui parlaient ainsi, que Guillaume II n’eût eu qu’à tendre la main à M. Poincaré pour s’acquérir l’amitié de la République. J’essayai vainement d’expliquer au bourgmestre que les choses n’étaient pas aussi simples qu’il l’imaginait. Je lui parlai de l’Alsace-Lorraine et du militarisme. Il ne comprenait pas. Il me laissa entendre que je me moquais de lui quand je lui affirmai que ce qui révoltait la France c’était que les Alsaciens eussent été annexés malgré eux. « Mais puisqu’ils sont Allemands, répétait-il toujours, ils doivent appartenir à l’Allemagne ! » Évidemment l’idée qu’un peuple puisse disposer de lui-même lui était complètement inaccessible. Quant au militarisme, c’était peine perdue que d’en parler. Sur ce point encore, il pensait comme tout le monde. Jamais, disait-il, les militaires n’étaient intervenus dans la politique allemande. Je lui rappelai l’affaire de Saverne. Il voulut bien reconnaître qu’elle avait été déplorable. Pourtant il ne fallait pas croire que la nation n’eût pas protesté si elle avait été bien renseignée. On n’avait pas su au juste ce qui s’était passé et, par loyalisme, on avait pris parti pour l’armée. Lui-même avait envoyé une adresse de félicitations au nom de la population de Creuzburg,

Un matin, comme il m’affirmait une fois de plus que Hindenburg et Ludendorff restaient confinés dans leur rôle de soldats, on lui apporta de la poste un énorme rouleau soigneusement ficelé. Il l’ouvrit devant moi. C’était un envoi du Kommando de Cassel, renfermant, avec ordre de les afficher, des cartes grossièrement coloriées où l’on voyait la Belgique servant