Page:Revue des Deux Mondes - 1920 - tome 56.djvu/109

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

tout le matériel indispensable au Robinson qu’il va devenir ? C’est cela qu’auraient dû nous apprendre ses biographes, au lieu d’analyser ses pensées solitaires, de nous peindre ses farouches désespoirs, et de nous révéler, avec une inquiétante minutie de détails, sa longue descente vers la consomption et la précoce caducité. Condamner un enfant de cet âge à l’isolement complet, c’est le condamner en même temps à la crasse, à l’ordure, à la vermine… Et qui donc a pris sur soi de formuler un tel ordre ? Nulle part on n’en trouve trace ni mention ; personne, jamais, n’a découvert un texte ni même une ligne d’écrit semblant s’y rapporter.

Hébert et Chaumette, dira-t-on, s’ils y trouvaient leur intérêt, étaient gens à ne point reculer devant une pareille cruauté : encore leur fallait-il pour complices les cent quarante-quatre membres de la Commune que le hasard de l’ordre alphabétique désignait chaque soir, quatre par quatre, pour assurer la surveillance du Temple, et aussi les officiers et sous-officiers de la garde nationale, en nombre incalculable, qui, tous les jours, se relevaient au commandement de la prison. Or, parmi ces hommes, de classes et d’éducation si diverses, s’il y en avait de méchants, d’indifférents et de pusillanimes, tous, assurément, n’étaient pas des bourreaux ; beaucoup avaient des enfants ; plusieurs s’étaient attachés au petit Capet, du temps de Simon, alors que, au billard, ils s’amusaient de lui ; quelques-uns même s’étaient montrés assez courageux pour témoigner à la famille royale des égards compromettants ; Dangé, Jobert, Vincent ont passé, sous l’inculpation de ce crime, devant le Tribunal ; ils reviennent au Temple durant la séquestration de l’enfant ; ils n’y reparaissent pas en simples surveillants, mais en gardiens responsables ; et pas un d’eux ne protesterait contre l’indigne traitement infligé à ce pauvre innocent ! Berthelin, exclu du Conseil en septembre parce qu’on l’accuse de trop de faiblesse et d’avoir un air trop respectueux lorsqu’il est de service au Temple, puis réintégré sur la demande de Chaumette lui-même qui se porte garant de son civisme, Berthelin est de garde le 28 janvier auprès du petit prince encagé comme une bête dangereuse, et il ne s’indigne pas ! Et Paffe, « l’honnête monsieur Paffe, » disait la Reine, — « un brave homme, » écrira Lepitre, — et qui s’est naguère exposé pour fournir aux prisonnières de la laine, des aiguilles à tricoter et autres