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ton de parti pris apologétique ; les délégués du Comité de sûreté générale ne manifestaient pas, en 1794, même après thermidor, tant d’attendrissement et d’indignation. D’abord Harmand fait erreur sur la date : il fixe sa visite au Temple « dans les premiers jours du mois de pluviôse an III, qui correspond au courant de février 1795 ; » or elle eut lieu deux mois auparavant, le 19 décembre 1794. Il se trompe plus complaisamment sur l’émotion qu’il éprouva en pénétrant dans la prison royale : il ne dut, ni tant « pâlir, » ni tant sentir « palpiter son cœur, » ni tant faire d’efforts pour retenir ses larmes, ni témoigner tant d’obséquieuse politesse aux prisonniers. Mais certains détails topographiques sont assurément exacts : « Déjà nous avions monté quelques marches de l’escalier de la Tour à l’Ouest de l’horrible prison, lorsqu’une voix lamentable, sortie par un guichet placé sur cet escalier et qui eût plutôt annoncé la retraite d’un animal immonde que celle d’un homme, suspendit notre marche… Cette voix fit, sur mes collègues et sur moi, un effet que rien ne peut exprimer. Nous nous arrêtons, nous nous interrogeons, et nous apprenons que cette loge, que ce cachot obscur renfermait un ancien valet de chambre du roi Louis XVI. J’ai oublié son nom. »

C’était Tison ; Tison enfoui depuis quinze mois dans une soupente de la petite Tour, sans que lui ni personne connût le motif de sa réclusion ! Harmand continue : « J’atteste que le fait était absolument ignoré des Comités de gouvernement. Le prisonnier nous exposa sa plainte ; il demanda sa liberté : nous lui observâmes que nos pouvoirs ne s’étendaient pas jusque-là. Alors il demanda à changer au moins de lieu, provisoirement : nous y consentîmes, non seulement sans peine, mais les larmes aux yeux… » Ces Conventionnels, à les en croire, — pendant la Restauration ! — étaient les plus sensibles des hommes.

Mais quand les pleurs ne suffoquent pas Harmand, sa narration prend un tour assez précis. On peut accepter sa description de la chambre du prisonnier, chambre qui n’était autre que celle naguère habitée par Louis XVI : « La clef tourne avec bruit dans la serrure et la porte ouverte nous offre une petite antichambre fort propre, sans autre meuble qu’un poêle de faïence qui communiquait dans la pièce voisine par une ouverture dans le mur de séparation et que l’on ne pouvait