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soldats, des vivres, des objets de luxe, voire des empereurs ; l’âme de ces barbares ne piquait point leur curiosité. Comment les historiens modernes auraient-ils été tentés de la pénétrer ?

Le jour où les érudits eurent à leur disposition d’autres documents que les textes des écrivains classiques, un horizon inconnu s’ouvrit devant eux. Ces documents nouveaux ou du moins à peine étudiés jusque-là, ce sont les inscriptions, gravées jadis dans toute l’étendue du monde antique, depuis la Bretagne jusqu’à la Mer Noire, depuis l’Espagne jusqu’aux déserts de l’Afrique et de l’Arabie. Leur nombre, qui s’élève aujourd’hui à plus de 150 000, s’accroît chaque jour ; leur variété est très grande et, par suite, elles nous apportent de multiples renseignements. Elles nous révèlent tout un côté de la vie romaine : l’activité des classés populaires, mille détails de l’existence privée journalière, les rouages de l’administration à la fin de la République et surtout aux trois premiers siècles de notre ère, — car le nombre des inscriptions antérieures à Jésus-Christ est assez minime, — l’organisation des finances, de la religion, des municipalités. Nos lois et nos actes sont répandus par l’imprimerie ; les Romains les gravaient sur la pierre ou sur l’airain. Nos journaux sont pleins de l’éloge des grands hommes : les Romains l’inscrivaient sur les tombes ; au-dessous des statues qui ornaient les villes, ils mentionnaient les fonctions, les honneurs, les sacerdoces que les personnages avaient obtenus, leurs hauts faits, les services qu’ils avaient rendus à l’Etat ou à leur cité natale. Ce sont là des données dont il est aisé de comprendre toute la valeur.

Une telle rénovation des sources historiques par des documents provenant de pays différents amena en même temps une sorte de décentralisation des antiquités romaines ; l’histoire générale de l’empire, c’est-à-dire, en somme, l’histoire de Rome et de l’Italie, se compléta par l’histoire particulière de chacune des parties qui le composaient. Plus on pénétra dans le détail, plus on s’aperçut que les diverses provinces, tout en se soumettant docilement, avec empressement même, à une réglementation unique, émanée du pouvoir central, en usaient avec des tempéraments et des modalités propres et gardaient chacune une originalité ; il fallut désormais tenir compte de cette découverte.