Page:Revue des Deux Mondes - 1920 - tome 56.djvu/204

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

grèveront l’une et l’autre lourdement notre budget. Mais si l’on peut dire de la première qu’elle est indispensable au rayonnement de la puissance française, on peut affirmer que la seconde ne sera qu’une coûteuse inutilité. La nationalisation de nos instruments de production, réclamée par les socialistes, amènerait sûrement la faillite de notre pays.

De toutes les industries, la marine marchande est celle qui se prête le moins à l’intervention de l’Etat ; chez elle, toute perte de temps est perte d’argent, et le temps ne compte pas pour les fonctionnaires. Un bateau qu’on immobilise entraîne le paiement de surestaries. Quand c’est l’armement qui les solde, on peut être convaincu qu’il les réduit au minimum. Qu’on les fasse supporter par le budget de l’Etat, et l’on ne manquera pas de raisons pour justifier l’immobilisation du navire ou le retard dans les horaires. Ce qui sauve à ce point de vue l’exploitation des chemins de fer, c’est que leur marche est en quelque sorte chronométrée. Rien d’analogue n’existant dans la navigation, les navires qui portent pavillon de l’Etat, resteront à quai. Nous en avons eu un exemple, pendant la guerre, avec les navires-hôpitaux qui mettaient à se charbonner six fois plus de temps qu’il n’était nécessaire.

La flotte d’Etat est donc une utopie dangereuse ; les auteurs du projet de construction actuelle, qui en sont vraisemblablement convaincus, ne cachent pas qu’ils entendent donner plus tard aux armateurs la gérance des navires construits à l’aide des crédits budgétaires. Mais il est à craindre que nos fonctionnaires ne cèdent à la tentation de conserver ces navires sous leur autorité. Ce jour-là, tous les étrangers déserteront nos lignes. En revanche, la majorité des voyageurs voyagera gratis. Les flottes subventionnées d’Algérie nous donnent un avant-goût de ce qui se passera. M. J. Charles-Roux n’a pas craint d’écrire dans la Revue, qu’en 1913, 80 000 passagers avaient circulé sur les navires de la Compagnie Générale Transatlantique, au tarif dit « de fonctionnaires, » dans la catégorie desquels on arrive à faire rentrer « quantité de personnes qui n’ont avec l’Etat ou la municipalité que des attaches lointaines, ou même qui n’en ont aucune. » Des lettres nous parviennent de toutes parts pour nous dénoncer les erreurs de l’étatisme. Un haut fonctionnaire, dont on nous permettra de taire le nom, nous écrit : « Vous devriez bien vous préoccuper de la fameuse flotte