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des Catacombes, des Chrétiens écrivaient, à côté de la croix ou du monogramme de Jésus, des vers de Virgile. Bientôt, ils composèrent des centons de Virgile et amenèrent le poète des Bucoliques à chanter la fête de Pâques.

Les jeunes Chrétiens avaient été nourris de Virgile et ne l’oubliaient pas dès le moment qu’ils entraient dans la nouvelle religion. De sorte que, sous peine d’avoir ainsi l’esprit fort embrouillé par deux disciplines contraires, il leur fallait accorder Virgile et Jésus : bien entendu, ce n’est pas Jésus qu’ils inclineront au paganisme ; et c’est le poète païen qui sera converti au christianisme. Dans les Martyrs, Chateaubriand fait joliment rivaliser les deux Muses qui nous ont formé nos âmes ; et, comme il tient pour le génie du christianisme, il donne le prix à la Muse chrétienne ; mais, en dépit de la sentence, il attribue à la Muse païenne les plus ravissantes paroles. Ce très subtil arrangement, où il y a une rouerie délicieuse, n’aurait pas convenu aux chrétiens énergiques des premiers temps. Et admirons que leur grand zèle de néophytes ne les ait pas conduits à détester l’Antiquité. Elle était en leurs mains, chétive et fragile : et ils en auraient eu raison facilement. Au lieu de quoi, ils l’ont sauvée.

Saint Jérôme gourmandait les prêtres qui, de Virgile, avaient l’esprit possédé. Mais, lorsqu’il apprit qu’Alaric avait saccagé Rome, son chagrin lui remit en mémoire les vers où Virgile déplore la calamité des Troyens. Puis, à Bethléem, il ouvrit une école où vinrent tous les enfants de la ville : et il leur lisait les poètes d’Athènes et de Rome, les historiens, les philosophes et les orateurs, Homère, Cicéron, Platon, Virgile. Comme on s’en étonnait, il répliquait en souriant : « Cette sagesse antique, dont la parole est si charmante et le corps si beau, je la rends esclave et servante et j’en fais une israélite ! » Il y a là, semble-t-il, une gracieuse malice. Probablement saint Jérôme savait-il très bien que l’Antiquité n’avait pas prévu le christianisme et qu’il fallait sa complaisance de morte pour qu’on lui donnât le baptême. D’autres ne l’ont pas su ou l’ont oublié : l’on a cru généralement que la littérature des païens contenait déjà et annonçait de loin la révélation divine, un peu comme l’Ancien Testament trace la mystérieuse allégorie que résoudront les Évangiles.

Au commencement du quatrième siècle, Eusèbe, évêque de Césarée, rapporte un discours adressé aux fidèles par Constantin le Grand ; d’ailleurs, que le discours soit de l’évêque autant que de l’empereur, c’est possible : un discours, en tout cas, où Virgile est un prophète