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une fille, la fameuse Julie, et une fille au sens le moins honorable du mot. Cette Julie ne sauva point le monde et plutôt l’amusa d’une condamnable façon. La prophétie ayant très mal tourné, Virgile la laissa tomber dans l’oubli. C’est assez drôle. Mais l’hypothèse de Gaston Boissier n’est plus admise ; et ni M. Bellessort, ni MM. Plessis et Lejay, qui sont les plus récents éditeurs de Virgile, ne l’ont adoptée. Ils prétendent que Virgile n’eût pas risqué une prophétie de ce genre : et, moi non plus, je n’en sais rien ; mais ils remarquent, beaucoup mieux, qu’une prophétie relative à un enfant d’Octave, ce n’est pas à Pollion que l’eût adressée Virgile, car ce Pollion le consul était un partisan d’Antoine, il faut chercher un autre enfant.

On ne l’a pas trouvé encore. Ou bien reviendrons-nous à l’opinion du moyen âge et admettrons-nous que Virgile ait annoncé la venue de Jésus-Christ ? Un critique déclare : « Il n’y a pas à discuter l’opinion chrétienne : le poème de Virgile est païen dans tous ses détails. » Oui, le poème de Virgile est païen dans la plupart de ses détails. Au même vers où il est dit que voici la Vierge, il est dit que voici recommencer le règne de Saturne ; et la description des temps nouveaux ressemble à une description pure et simple de l’âge d’or. Mais, cela, les interprètes chrétiens l’ont vu et n’en ont pas été gênés le moins du monde. Eusèbe, ou Constantin le Grand, note que, « pour éviter les cruautés des hommes, » le poète a soumis sa prophétie aux « idées qui leur étaient familières ; » et toutes les prophéties s’enveloppent de telles précautions. Si le poème de Virgile est païen dans presque tous ses détails et, plus exactement, païen d’expression, la teneur générale du poème est d’une autre sorte, et le ton du poème aussi. M. Salomon Reinach formule cette conclusion, qui le range du côté d’Eusèbe ou de Constantin le Grand plutôt que du côté de Boissier : « Ce poème entièrement religieux est la première en date des œuvres chrétiennes. » M. Frédéric Plessis constate que Jésus ne naquit pas sous le consulat de Pollion. Cependant, l’interprétation des chrétiens du moyen âge ne lui paraît point absurde : « Il y brille, au fond, une étincelle de vérité, puisqu’il y, a dans le poème attente et promesse du Sauveur et que, peu de temps après, il vint en effet sur la terre. On sait combien l’âme de Virgile était religieuse et toute disposée à s’ouvrir au christianisme… Il n’est pas impossible que, dans la vision, du poète, il y ait eu, alors même qu’il songeait au fils de Pollion, pressentiment confus et voilé du Sauveur qui devait venir quarante ans plus tard. » Eusèbe ou Constantin le Grand disait : une prophétie ; nos critiques modernes disent : un pressentiment.