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pèlerins qui s’en allaient vers les terres lointaines, les attirant vers les sanctuaires des moines : tout honneur et tout profit. C’est là qu’ont été prononcées les paroles où M. Joseph Bédier résumait son effort, appelées à éveiller de longs échos chez les savants du monde entier, et à frapper l’oreille même des profanes qui s’intéressent aux grandes idées et aux grands faits historiques : « Rétablir la liaison entre le monde des clercs et l’autre, montrer que l’Église fut le berceau des chansons de gestes aussi bien que des mystères, revendiquer pour elles leur vieux nom délaissé de romans de chevalerie, et marquer par là que leur histoire est inséparable de l’histoire des idées chevaleresques à l’époque capétienne, rappeler les faits psychologiques généraux qui provoquèrent en même temps qu’elles les croisades d’Espagne et les croisades de Terre Sainte, en un mot, les rattacher à la vie, c’est à quoi je me suis efforcé. » Et encore, substituant à la création populaire mythique la création populaire véritable : « Les véritables créateurs, quels furent-ils ? Non pas tel clerc, avide de procurer à son église de faux titres ou de fausses reliques, non pas tel jongleur désireux de rimer un roman nouveau, mais bien maints clercs et maints jongleurs, et maints chevaliers et maints marchands, tous ceux qui passèrent par ces routes, émus des mêmes pensées : le peuple. Ici on touche le tuf, la création populaire véritable. » — On voit jusqu’où s’étend cette découverte, s’il est possible que toutes les épopées s’expliquent de la même façon, qu’il s’agisse du Ramayana ou des Nibelungen, et si pour toutes il faut reprendre la question des origines. Un Grimm et un Herder ont attaché leur nom à l’hypothèse d’une poésie primitive, et les générations successives leur ont payé en tribut de gloire le mérite d’avoir expliqué les premiers balbutiements des littératures. Le temps marquera la place de celui qui montre aujourd’hui que leur hypothèse était fausse et qui, nous apportant une vue originale sur la formation des épopées, renouvelle un aspect de l’histoire de l’humanité.


Or, tandis qu’il met la dernière main à son édifice, voici que nous sommes au mois d’août 1914. S’il est vrai que la guerre permet de mesurer la valeur morale de nos contemporains,