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— Frotté témoigna le désir, si la paix se concluait, d’être admis à pénétrer au Temple « pour y servir les restes infortunés du sang qui régna sur la France. » Le Conventionnel le regarda quelque temps sans mot dire ; enfin, rompant le silence… : « — Nous ne sommes pas seuls, fit-il ; demain nous nous reverrons chez moi, si vous voulez, et je vous répondrai franchement. » Frotté fut, comme bien on pense, empressé au rendez-vous : le républicain paraissait « assez ému. » Savait-il ? Avait-il eu d’abord l’intention de tout révéler ? Il se contenta de détourner de son projet le chef royaliste, et parla en ces termes : « Je dois vous dire la vérité, parce que je crois pouvoir compter sur votre discrétion : votre sacrifice serait inutile ; vous en seriez victime et vous ne pourriez dans aucun cas servir à rien au fils de Louis XVI. Sous Robespierre, on a tellement dénaturé le physique et le moral de ce malheureux enfant que l’un est entièrement abruti et que l’autre ne peut lui permettre de vivre. Ainsi renoncez à cette idée dans laquelle j’aurais bien du regret, par intérêt pour vous, de vous voir persister, les choses étant au point où elles en sont, car vous n’avez pas idée de l’appauvrissement et de l’abrutissement de cette petite créature. Vous n’auriez en le voyant que du chagrin et du dégoût, et ce serait vous sacrifier inutilement, car vous le verriez infailliblement périr bientôt et, une fois au Temple, vous n’en ressortiriez peut être jamais. »

Si ce ne sont point-là arguments d’un homme qui veut être compris « à demi-mot, » ils paraissent de nature à exciter plutôt qu’à refroidir le dévouement de Frotté : plus le sort de l’enfant est misérable, plus lui serait utile l’assistance d’un ami empressé à le secourir… Mais le Conventionnel, en parlant ainsi, s’exprimait-il avec autant de franchise qu’il en avait promis à son interlocuteur ? Par qui donc est-il informé de l’état du prisonnier ? Non point par ses collègues de la Convention qui, depuis quelques mois, ont visité le Temple : Reverchon, Mathieu, Harmand, Goupilleau, André Dumont. Aucun d’eux, en effet, n’a constaté que l’enfant fût malade, sinon ils auraient indubitablement réclamé pour lui les soins d’un médecin. Cette obstination à rejeter toute la responsabilité sur la Commune abolie et sur Robespierre guillotiné ne peut se justifier que si les thermidoriens qui leur succèdent se montrent remplis de prévenances et d’attentions pour le pauvre