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décès, par estafette. Lasne le reçoit à la porte de la chambre et l’introduit auprès du mort ; puis, le temps normal d’une consultation étant écoulé, Lasne se voit obligé d’aviser le médecin qu’il ne peut le laisser partir et qu’il va le garder prisonnier, consigné dans la Tour, comme le porte-clefs Gourlet, jusqu’à ce que le Comité ait arrêté les mesures à prendre. Pelletan, dont le temps est précieux, va-t-il protester, exiger sa libération immédiate, s’enquérir au moins des raisons de cet invraisemblable internement ? Non pas. Il est vrai que, le matin même, il a reçu directement d’un des secrétaires du Comité de Sûreté générale, Houdeyer, le conseil d’un mutisme absolu sur ce qu’il aura l’occasion de voir ou d’entendre lors de ses visites au Temple. Étonnante recommandation d’un bureaucrate de rang inférieur, adressée au médecin en chef du premier hôpital de Paris ! Pelletan, déjà averti, — c’est le mot dont s’est servi le secrétaire du Comité, — ne s’étonne donc pas d’être à son tour gardé à vue dans cette Tour tragique où tant de surprises sont réservées à ceux qui en franchissent le seuil ; pourtant il a ses malades qui l’attendent, ses services qui le réclament, et le voilà commençant une lettre qu’un cavalier portera au Comité et par laquelle le médecin sollicite, — oh ! bien timidement ! — sa mise en liberté.

Tandis que Pelletan rédige sa supplique, Gomin revient des Tuileries ; il est allé au Comité ; les membres présents auxquels il annoncé la mort de Charles Capet ont décidé, — sous le prétexte vrai ou faux que la Convention venait de lever sa séance, — de remettre au lendemain la publication du décès. Gomin qu’accompagne le citoyen Bourguignon, secrétaire du Comité de Sûreté générale, rapporte un arrêté invitant les gardiens du Temple à prévenir Pellelan et Dumangin qu’ils eussent à « s’adjoindre deux de leurs confrères les plus éclairés pour procéder à l’ouverture du corps et en constater l’état. » Pelletan se trouvait donc libre : il quitta le Temple non sans avoir assuré Gomin et Lasne « de la plus entière discrétion. » Et, assistés de Damont, ravi, semble-t-il, d’être mêlé à un événement de cette importance et qui paraîtra plus tard n’avoir rien compris à l’intrigue qu’il aura côtoyée, les deux gardiens continuent à illusionner le personnel de la prison, montant à la chambre de l’enfant mort les médicaments que le pharmacien vient des livrer, et les repas que fournit la cuisine