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France même, pour les mêmes raisons, ne manque pas à l’éducation des esprits.

Je connais les préoccupations d’ordre moral qui, à côté de leurs revendications dans le domaine matériel, animent certains dirigeants de cette corporation. Sans doute voient-ils avec tristesse et avec inquiétude une trop grande part des salaires accrus se volatiliser en vaines amusettes, en attifements de faux luxe, en beuveries qui avilissent. Dépenses néfastes qui, sans élever l’homme, sans accroître sa force et sa valeur, grèvent inutilement, — au point de la rendre quasi-impossible, — l’industrie peut-être la plus indispensable à notre pays, puisqu’elle propage et porte toutes les autres. Quelques-uns de ces hommes qui, avec nous, luttent contre la dégradation par l’alcool, le vice, les spectacles pervers, ne pourraient-ils pas organiser la défense contre la hantise du pauvre luxe, si vilain, et du plaisir, si consternant ? Ce sont ces deux ferments qui provoquent le plus l’effervescence pour la hausse constante des salaires. Sans eux, la vie n’exigerait pas tant d’argent. Le loyer, même avec plusieurs enfants, coûte moins cher que le besoin sans cesse renaissant du café-concert, du cinéma et des baraques foraines. Là n’est pas le bonheur. Il est dans la famille qu’on élève. Il est dans le métier que l’on fait avec goût, avec plaisir, avec fierté. Pour élevés que soient les salaires, ils ne suffisent pas à rendre un homme heureux, s’il ne trouve pas l’une de ses premières joies dans son travail et dans la dignité de sa vie. Sinon, toujours aigri et déçu, malgré toutes les apparentes satisfactions de gain, il va chercher une illusion de bonheur là où ce faux semblant coûte trop cher. Et ce prix excessif du plaisir l’oblige sans cesse à des revendications qui finissent par ruiner sa profession elle-même.

Nous aboutissons ainsi, — et toujours, — au problème moral qui domine tous les débats et conflits de notre temps et dont on ne se préoccupe pas assez.


Que résulte-t-il de cette situation sans cesse aggravée pour toutes les raisons que nous venons de dire ? Nous nous bornons à signaler un point particulièrement inquiétant : la quasi-impossibilité d’éditer les livres des nouveaux écrivains, l’avenir de notre littérature compromis, la pépinière des beaux jeunes