Page:Revue des Deux Mondes - 1920 - tome 56.djvu/524

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
520
revue des deux mondes.

c’est là une chose bien connue et escomptée dans chaque plan de bataille ; on prévoit que les compagnies X. Y. Z. doivent se faire tuer sans reculer à tel endroit précis pendant tant et tant de temps et on en tire des conclusions utiles. Mais que des hommes ayant reculé pendant dix jours, — et la voix de von Kluck semble s’altérer, — que des hommes couchés par terre à demi morts de fatigue puissent reprendre le fusil et attaquer au son du clairon, c’est là une chose avec laquelle nous n’avons jamais appris à compter ; c’est là une possibilité dont il n’a jamais été question dans nos Écoles de guerre… »

Ni la victoire de la trouée de Charmes, ni celle de Guise, ni les actions vigoureuses qui s’étaient produites au cours de cette longue retraite, n’avaient ouvert les yeux des États-majors allemands sur l’état réel des armées françaises : sur cette ligne immense, certains corps avaient dû se replier sans avoir combattu, d’autres n’avaient eu que des actions heureuses, et ceux-là même qui avaient le plus souffert brûlaient de se venger. La faculté de rebondissement que possède la nation française et dont elle a donné tant de preuves au cours de sa longue histoire, paraît inconnue de ses ennemis. On l’a dit très justement, c’est le soldat français qui a vaincu sur la Marne. Oui, c’est bien la race qui a fait le miracle, et cette vérité ne fait qu’accroître la gloire du Chef qui a cru en elle.

La fatigue générale et la pénurie de munitions dans les deux camps provoqua une accalmie ; l’attaque française était en infériorité matérielle par son insuffisance en artillerie lourde et en mitrailleuses ; on s’enterra. La lutte se transporta vers le Nord, en terrain encore libre, mais les mêmes causes y produisirent les mêmes effets. La bataille de la Marne était pour les Alliés une grande victoire, complétée par le coup d’arrêt qui maintenait les Allemands loin des côtes de la Manche. Cet ensemble fixait le sort de la guerre, mais les conditions de la lutte retardaient la décision finale : en 1914, les moyens de défense paraissaient supérieurs aux moyens d’attaque et, dans ce duel fameux entre la cuirasse et l’obus, la cuirasse était momentanément la plus forte.

Général Mangin.