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comme l’aigle de Dante, remuait les ailes en chantant des hymnes. Et il voit aussi d’autres anges dont chacun représente un amalgame infini de visages et d’ailes. Il suffit de fondre ces deux visions pour obtenir le monstre angélique de la Divine Comédie. A la dernière étape de l’ascension dantesque, Béatrice cède sa place à saint Bernard. A la dernière étape de l’ascension musulmane, Gabriel s’efface, et le Prophète est élevé jusqu’à Dieu sur une couronne lumineuse. Les deux voyageurs, le chrétien et le musulman, éprouvent les mêmes éblouissements et la même impuissance à les traduire. Mahomet dira : « Je vis une chose si grande que la langue ne peut l’expliquer ni l’imagination la concevoir. Ma vue fut éblouie au point que je crus devenir aveugle. Je fermai les yeux par une inspiration divine et, quand je les eus fermés, Dieu m’octroya une vue nouvelle dans mon cœur. Avec les yeux spirituels, je pus contempler ce qu’auparavant j’avais souhaité de voir avec les yeux du corps, et je vis une lumière éblouissante. Mais il ne m’est pas permis d’en décrire la majesté… » Lorsque les mains divines se posent sur ses épaules, Mahomet ressent au plus intime de lui-même une émotion très douce, un frisson de délices qui efface comme par enchantement le trouble et la crainte dont il était possédé. Et il finit par tomber dans la stupeur extatique. « A cet instant, dit-il, je pensai que tous les êtres du ciel et de la terre étaient morts, car je n’entendais plus la voix des anges et je ne voyais plus rien, contemplant mon Seigneur… » Et Dante dira : « Dès cet instant, ma vue fut au-dessus de mes paroles qui cèdent à une telle vision, et la mémoire cède à un tel excès… — Je crois, d’après la blessure que je reçus du vif rayon, que j’aurais été aveuglé si mes yeux ne s’en étaient détournés… Désormais, ma parole sera plus impuissante à rendre ce dont je me souviens que l’enfant qui mouille encore sa langue à la mamelle… »

A tous ces rapprochements, qui sont au moins curieux, il faut ajouter que Dante, comme Abenarabi, a fait de son voyage un symbole de la vie morale. Il en ressort que l’homme a été mis sur la terre pour mériter la félicité suprême qui consiste dans la vision béatifique, et qu’il ne peut l’atteindre qu’avec le secours de la théologie, mais qu’il peut l’atteindre sans être un prophète ni un saint. M. Asin remarquera encore que l’ascension allégorique d’Abenarabi et le poème dantesque sont écrits