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voir en pareille compagnie « la chère et bonne image paternelle du maître qui, dans le monde, lui enseignait comment l’homme s’éternise. » Or tout un groupe de traditions musulmanes se rapporte au supplice des savants qui n’ont pas conformé leur conduite à leur enseignement. « Lancés dans l’Enfer, dit le texte arabe, ils seront forcés de tourner continuellement comme l’âne autour d’une meule. Quelques-uns de leurs disciples qui les connurent sur la terre les verront du haut du ciel ou dans l’Enfer même, et ils leur demanderont en les accompagnant dans leur marche circulaire : « Qu’est-ce qui vous a conduits ici, vous de qui nous avons tout appris ? » Ou encore : « Pourquoi êtes-vous en Enfer, quand nous ne sommes entrés au ciel que grâce à vos enseignements ? » Serait-ce par hasard ce texte musulman qui aurait inspiré à Dante l’ingrate idée de marquer d’une peine infamante et immortelle l’homme dont il reconnaît en même temps qu’il lui a dû de beaux et nobles conseils ? Je n’ai jamais compris l’épisode de Brunetto Latini et, soit dit en passant, je comprends encore moins les commentateurs qui noient « la pensée touchante » que Dante donne à son maître et ami !

Je n’énnoèrerai pas toutes les analogies que M. Asin relève et dont quelques-unes sont pourtant bien intéressantes, comme celle du supplice des devins qui semble emprunté du Coran : ils marchent la tête à l’envers et leurs larmes coulent le long de leur épine dorsale : « Vous qui avez reçu les Écritures, dit le Coran, croyez en celui que Dieu a fait descendre du ciel pour confirmer vos textes sacrés, avant que nous effacions les traits des visages et que nous ne les tournions vers le côté opposé. » Mais nous ne pouvons quitter l’Enfer sans nous arrêter au cercle le plus profond, où Dante rencontre des réprouvés d’une taille gigantesque, coupables de rébellion envers Dieu : Nemrod, Ephialte, Briarée, Antée.

D’après les livres religieux musulmans, les habitants du dernier étage infernal auraient des dimensions démesurées, probablement pour offrir plus de matière aux supplices ; et la théologie islamique considère Nemrod comme un des prototypes de l’orgueil satanique : elle le relègue au même séjour qu’Iblis, son Lucifer. Ces monstres mesurent quarante-deux brasses ; et un commentateur de la Divine Comédie au XVIe siècle, Landino, dont je n’ai pas besoin de dire qu’il