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et déterminer des changements linguistiques qui ne se seraient pas produits dans des temps réguliers et paisibles… » À ce point de vue, on a ingénieusement comparé la guerre à une tempête, qui précipiterait sur la plage des lames de fond et la laisserait couverte de débris ; « mais ces débris ne modifient en rien la forme ou la composition du rivage, soumis d’autre part à l’action continue et meurtrière des érosions marines. Ni la syntaxe, ni la prononciation ne sont, en pareil cas, altérées… »

Indirectement, la guerre pouvait agir davantage : elle pouvait favoriser et hâter un travail de destruction dès longtemps commencé. Et certes, si elle avait seulement augmenté la force des courants qui emportaient, par parcelles, les qualités de notre langue, le danger eût été grand. Mais elle a réveillé, en même temps, des énergies latentes, des puissances de conservation, des volontés de rénovation. La langue doit en profiter.

Moins pure assurément que dans le passé, parce qu’elle est plus chargée d’alluvions ; plus relâchée peut-être, comme toute la vie moderne ; mais sauvée de la vulgarité envahissante, par la vertu préservatrice des talents individuels ; aimée toujours ; respectée davantage par ceux qui veulent la défendre comme ils ont défendu nos drapeaux, elle garde sa physionomie. C’est la condition nécessaire de son droit à l’expansion, que nous étudierons par la suite.


PAUL HAZARD.