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Samedi [7 novembre]. A deux heures du matin.

Hier, mon loup adoré, j’ai reçu ta petite lettre, et, sans la lire, je l’ai baisée avec les larmes aux yeux en pensant à ce divin héroïsme et à ta désobéissance au médecin. Ne fais plus cela, si tu risques ta santé, chère idole de mon cœur. J’ai eu de l’orgueil d’être tant aimé ; puis, j’ai frémi de ton imprudence, oh ! chérie, chérie ! Puis ta lettre m’a donné froid dans le dos, quand j’ai lu ces mots : « Arrange-toi comme tu pourras avec les Rothschild ; ne compte sur moi pour rien. » Pauvre loup, tu ne sais pas ce qui se passe ici. Le Nord est à cent soixante-quinze francs au-dessous de notre [prix d’}acquisition, et il faut oublier qu’il existe. Je ne veux pas perdre quarante mille francs. Si l’on vendait [en ce moment], on perdrait cela. Dans quelque temps, mes valeurs vaudront à peine vingt-huit mille francs, au lieu de quatre-vingt-dix ; et, dans six mois, cela vaudra cent et autant de mille francs.

En arrêtant tout à Beaujon, mes engagements [actuels] sont de quarante mille francs, à payer d’ici le 25 décembre. S’il faut que je paie cette somme par mes propres forces, il faut que je le sache dès à présent, car je serai forcé de tenter un coup désespéré, et qui influe sur ma conduite [présente].

Ecoute : il faut écrire alors les huit volumes des Paysans du 15 novembre au 15 décembre, c’est-à-dire un volume tous les quatre jours. Comment sort-on d’un pareil travail ? Et cependant ta lettre ne me permet pas d’attendre une réponse. J’ai trente-deux feuillets [à faire] encore pour finir la Cousine Bette. Demain, dimanche, ils seront finis. Les Deux Musiciens seront terminés dans cinq jours. Nous serons au 13. Le 14 je [re]commence les Paysans, et je ne quitterai mon bureau que le 15 décembre, les ayant finis, car il faut payer R[othschild] le 25. Je mourrai, plutôt que de recommencer, avec toi, ma vie depuis dix ans, et plutôt que de perdre la somme énorme que nous perd[ri]ons en ce moment. Si l’on soupçonnait ma gêne, les libraires s’entendraient pour m’égorger. Ils donneraient cinquante francs de ce qui vaut cent francs… Huit volumes en un mois ! J’en ai fait cinq en six semaines lors de mon voyage à [Saint]-Pétersbourg, et Dieu sait dans quel état j’étais. Aujourd’hui, il faut doubler la dose, et hier, en me couchant j’ai contemplé froidement mes obligations, et je me