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Pouchkine, il y mit assez de formes pour ne point frapper le s poète, tout en se méfiant de l’homme. Il ne l’exila point comme avait fait son père ; au contraire, il exigea sa présence constante dans la capitale d’où Pouchkine ne put que rarement s’échapper. De cette manière, aucun de ses faits et gestes ne restait inconnu à la police. D’autre part, l’Empereur le délivra dès 1826 du joug officiel de la censure et se constitua son seul et unique censeur. Cette décision, qui avait les apparences d’une grâce » exceptionnelle, n’était, au fond, qu’un suprême moyen de contrôle.

La sollicitude impériale pesa lourdement sur le travail de Pouchkine. La censure ordinaire, malgré tous ses défauts, possédait au moins le mérite d’une prompte exécution, et Pouchkine s’était souvent plu à la combattre et à la railler ouvertement. A présent, pour le moindre sonnet qu’il voulait imprimer, il fallait attendre indéfiniment que l’œil du monarque daignât se tourner vers lui ; attendre et ne rien dire. Nombreux sont les passages de la correspondance du poète adressés à des personnes de l’entourage de l’Empereur, où, à travers un style officiel et correct, perce une sourde et douloureuse impatience.

Ainsi, sous les dehors d’une parfaite cordialité, il n’y eut jamais de compréhension ni d’attachement vrai entre le monarque et le grand homme. Officiellement, Nicolas Ier était son auguste et généreux protecteur, et Pouchkine ne cessera de le répéter avec reconnaissance à travers ses lettres. Mais en fait, cette grâce et ces bienfaits impériaux le privaient de toute initiative nécessaire au déploiement d’un génie qui touchait à sa maturité. Nous verrons plus tard Pouchkine devenir peu à peu le prisonnier d’un compromis sans issue. Sa destinée devait en garder une ineffaçable empreinte.

Telle était la situation de Pouchkine à l’époque de son mariage, qui fut célébré à Moscou le 18 février 1831. Il avait trente-deux ans. Sa fiancée, Nathalie Nicolaievna Goncharowa, en avait dix-huit. Très épris de cette belle et jeune personne, Pouchkine ne restait pas moins sceptique au sujet de son bonheur. Ses fiançailles furent longues et pénibles et la famille Goncharoff ne témoignait que peu d’empressement pour le projet de cette union. Mme Goncharowa, mère, occupée surtout de la dot de sa fille, cherchait sans cesse querelle à son futur gendre. Quant à la jeune fille, elle se montrait aussi