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femmes dont le charme fut plus grand peut-être que celui de Mme Pouchkine ; mais je n’en vis aucune qui eût ce visage d’un classique achevé, parfait. Elle est grande, sa taille est fabuleusement mince. Sa petite tête, son cou gracieux ressemblent à un lys qui se balancerait sur sa tige ; je ne vis jamais profil plus beau et plus régulier. Elle est de tenue froide, toujours réservée. Oui, c’est une vraie beauté, et toutes les femmes s’effacent lorsqu’elle parait. J’en fus amoureux dès notre première rencontre. » Et Sollogoub ajoute qu’il n’était pas le seul et qu’il n’y avait pas un jeune homme à Pétersbourg qui ne soupirât secrètement après elle. Dure épreuve pour la sensibilité de Pouchkine toujours en éveil. Sollogoub lui-même n’échappa point à sa jalousie et faillit se battre en duel avec lui. Mais devait bientôt apparaître un rival bien plus dangereux. En effet, George d’Anthès entrait en scène.

Nous avons vu plus haut les heureux débuts du jeune homme à Pétersbourg. Il était à présent de toutes les fêtes mondaines, et ses fréquentes rencontres avec Nathalie Pouchkine le troublèrent profondément.

La cour de George d’Anthès fut-elle encouragée ? Sollogoub nous montre une Nathalie froide et réservée, et il semble, en effet, que, dans ce drame, elle ne devait jouer qu’un rôle banal et effacé. Point d’entraînement, point de grande passion, une simple intrigue mondaine, dont la société suivait les péripéties avec une curiosité plus ou moins bienveillante. Aux allusions, aux réflexions ironiques, Mme Pouchkine répondra par son froid sourire d’énigmatique poupée. Elle dira que d’Anthès a de l’esprit et qu’il la distrait. Certes d’Anthès était assez beau, assez gai et divertissant, pour qu’elle se plût en sa compagnie. Tout semble, d’ailleurs, favoriser leurs rencontres. Les cotillons, les fêtes joyeuses qui se prolongeaient jusqu’au matin, les soirées intimes les réunissaient sans cesse. Des amis obligeants, tels que Mme Poletika, les invitaient ensemble, sans se soucier d’un inévitable scandale. La sœur de Mme Pouchkine, Catherine Goncharowa, elle-même éprise de la beauté de d’Anthès, jouait dans cette intrigue le rôle de confidente muette et exaltée. Atmosphère lourde d’orage, dont seuls les amis de Pouchkine devinaient le danger.

Quelques amis intimes s’étaient adressés au ministre de la Cour, comte Adlerberg, homme puissant dans les sphères de la