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que d’Anthès, retenu ce jour-là par son service, ne reçût point directement le défi et que son père adoptif l’apprit avant lui.

L’affolement du vieux baron fut extrême ; il courut chez Pouchkine et ne sortit point de chez celui-ci avant d’avoir obtenu, au prix de larmes et de supplications, un délai de quinze jours. En même temps, Joukowsky, averti de l’affaire et en proie à la plus violente émotion, employait tous ses efforts pour aplanir la néfaste querelle. Il se rendit directement chez le baron de Heeekeren où une nouvelle surprise l’attendait. Le diplomate lui déclara que la plus malheureuse des méprises avait été cause de ce duel. Son fils aimait en effet, mais cette femme adorée n’était autre que la sœur de Nathalie Pouchkine, Catherine Goncharowa. George d’Anthès était à la veille d’annoncer ses fiançailles avec elle. Coup de théâtre. Pouchkine, mis au courant du mariage de sa belle-sœur, ne chercha point à dissimuler son ironie ; cependant, bon gré mal gré, il se vit forcé de retirer sa provocation. Mais les difficultés étaient encore loin de prendre fin.

D’Anthès, soucieux de son honneur, ne pouvait, en effet, accepter de plein cœur une solution aussi équivoque, et l’intrigue de son père adoptif devait répugner à son caractère énergique. Le délai de quinze jours étant expiré, il écrivit, à son adversaire en se mettant à son entière disposition. Cette lettre franchement hostile et fort insolente mit Pouchkine hors de lui. Il répondit en chargeant le comte Sollogoub de s’entendre avec le témoin de d’Anthès, le vicomte d’Archiac, secrétaire à l’ambassade de France. Le duel était imminent. « Plus il sera sanglant, s’écria Pouchkine, mieux cela vaudrai » Pendant ce temps, les personnes de son entourage, Joukowsky, Sollogoub, d’Archiac lui-même, cherchaient en vain un compromis possible. Il fallait à tout prix que Pouchkine renonçât de son plein gré à ce duel et de sorte que l’honneur de d’Anthès fût définitivement mis à l’abri. Pour cela, Pouchkine ne devait faire aucune allusion au mariage et tout ignorer de ce projet qui, autrement, serait interprété comme une preuve de lâcheté de d’Anthès. En effet, son union avec Catherine Goncharowa risquait fort de prêter à des jugements désobligeants.

Voici l’énigme qui se présentait à tous les esprits et que venait encore aggraver l’irritation intransigeante de Pouchkine.

Le même soir, les personnages de ce drame se rencontraient