donner mon coup. » D’Anthès revint alors a sa place, se posa de côté et abrita sa poitrine de la main droite ; Pouchkine le visa lentement et tira sur lui d’un geste sûr ; d’Anthès tomba à son tour. Alors, en le voyant blessé, Pouchkine lança son pistolet en l’air et s’écria : « Bravo ! »[1].
Ils restèrent là, chacun étendu à sa place ; Pouchkine demanda à d’Archiac :
— Est-il tué ?
— Non, lui répondit celui-ci, mais il est blessé à la poitrine et au bras !
— C’est singulier, murmura Pouchkine, j’avais cru que cela m’aurait fait plaisir de le tuer, mais je m’aperçois que non.
Et il ajouta :
— Au reste, si nous nous rétablissons tous les deux, ce sera à recommencer[2].
Ici encore, une vision d’Eugène Oneguine traverse le souvenir et l’on repense à ces lignes prophétiques où Pouchkine exprimait l’état d’âme d’Oneguine, tandis qu’il considérait Lensky étendu à ses pieds et qu’il avait tué.
« Que diriez-vous, si un camarade, qui vous aurait offensé par quelques espiègleries, était tué de votre main ? Quel sentiment votre âme éprouverait-elle en le voyant à terre, le front déjà livide à l’approche de la mort, muet et sourd à votre appel désespéré ?
« Le voici immobile et la paix de son visage est étrange.
« Il y a quelques instants, ce cœur était plein d’inspiration, de colère, d’amour et d’espoir ; la vie faisait battre ses artères ! A présent, tel que dans une maison délaissée, tout est silence et ténèbres ; les volets sont fermés, les vitres ont été blanchies à la craie ; la maîtresse du logis a disparu et nul ne saurait la retrouver ! »
Songerie grave et mélancolique que l’auteur d’Oneguine eut hâte d’abandonner pour reprendre le ton gracieux et aimable de son délicieux poème.
De même que l’adversaire d’Oneguine, Pouchkine avait été frappé à mort. Il était blessé au ventre et le sang coulait à flots.