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Salandra ne comprit pas alors que pacte signé est pacte qu’il faut respecter, surtout dans les conditions où se trouvait l’Italie à peine sortie de la Triple-Alliance. Aussi, non seulement ne déclara-t-il pas immédiatement la guerre à l’Allemagne, mais encore dans son discours au Capitule, où il célébra la grandeur de celle-ci et affirma vouloir traiter avec elle d’égal à égale, tandis qu’il laissa les Italiens convaincus qu’il n’y avait pas obligation de lui déclarer la guerre, il offrit aux alliés une preuve immédiate de sa déloyauté politique. Et il prouva en même temps qu’il ne comprenait rien à l’histoire, dont il voulait être un si grand acteur, parce qu’il ne saisit pas que l’ennemi principal des alliés était l’Allemagne. Par son discours au Capitule, il en vint à nier tout bonnement la plus essentielle finalité de la guerre européenne, c’est-à-dire la défaite de l’Allemagne. Ainsi Français et Anglais, au courant de nos obligations, nous rappelèrent presque chaque jour au respect de nos pactes, nous stimulèrent et nous insultèrent même, quand nous semblions répugner davantage à sauter le grand pas. Nous, au contraire, ignorants des obligations souscrites en notre nom, dans notre fierté de citoyens, nous nous révoltions dédaigneusement contre chaque avertissement qui nous venait d’au-delà des Alpes et d’au-delà des mers, nous le considérions comme une ingérence illégitime dans nos libres décisions.


Laissons là les violences de langage qui caractérisent ce réquisitoire inattendu de neutralistes germanophiles, intéressés à se servir de cette arme pour les besoins de leur cause. Le principal obstacle à l’immédiate déclaration de guerre de l’Italie à l’Allemagne est précisément venu de leur inlassable opposition. Ce sont eux, empressés alors comme aujourd’hui à faire implacablement le procès de la politique interventiste, qui ont fait une campagne acharnée contre une mesure dont la nécessité avait été de prime abord entrevue par la population, qui ont accumulé les obstacles sur le chemin du gouvernement, retardé l’évolution de l’opinion publique, obligé à la préparer, entretenu à grand renfort d’arguments, la crainte de la puissance militaire allemande, agité le spectre d’une offensive germanique sur le front du Trentin et même à travers la Suisse, invoqué l’intérêt économique d’après-guerre, démontré l’opportunité de ne pas couper les ponts derrière soi, pactisé avec tous les partisans de la paix à tout prix, de quelque bord qu’ils fussent, mis en jeu tous les moyens et tous les auxiliaires, continué leur opposition au-delà même du fait accompli.

Ce n’est pas à dire que le Cabinet alors au pouvoir ait eu