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Outre la ressemblance physique, étrangement frappante, avec cette flgure de musée, M. Robert de la Sizeranne a aussi d’elle le je ne sais quoi, — non pas précisément de mystérieux, — mais de réticent, de discret, de volontairement effacé, qui est comme répandu sur toute sa personne. La première fois que je le rencontrai, ce fut à Nice, dans un sentier pierreux, qui serpente aux flancs d’une colline, entre des oliviers. Avec sa cape de laine bourrue, à qui je trouvai tout de suite une couleur de muraille, son chapeau tyrolien rabattu sur les yeux, le gourdin noueux qu’il brandissait à son poing, il avait l’air d’un carbonaro qui connaît tous les chemins de la montagne. Ce n’était qu’un voyageur sérieux, qui entend profiter de son voyage, tirer d’un paysage tout ce qu’il peut donner de jouissances esthétiques, et qui certes ne vient point en Riviera pour s’amuser.

Robert de la Sizeranne est un grand voyageur. C’est pourquoi il est très difflcile de le joindre. Quand il n’est point « rembûché, » — pour prendre une de ses expressions favorites, — dans sa gentilhommière de la Drôme, il court sur les grandes routes de l’art et de la beauté. De loin en loin, par exception, on le rencontre, le dimanche, vers cinq heures, dans son appartement de l’avenue de Breteuil, en face de ce merveilleux dôme des Invalides, dont lui-même a dit que, lorsqu’on le voit surgir tout à coup, au milieu des frivoles ou vulgaires bâtisses du Paris moderne, on éprouve quelque chose de l’émotion des courtisans d’autrefois, à Saint-Cloud, lorsqu’ils entendaient le majordone du Palais annoncer : « messieurs, l’Empereur ! »

Rien d’impérial dans ce studio aux tentures grises et au mobilier sévère, dont l’hôle, devant ses visiteurs, s’efforce plus que jamais de s’effacer et de mettre un frein à sa naturelle éloquence. Ces visiteurs eux-mêmes sont gens graves et de poids pour la plupart ; de rares peintres qui ont su forcer l’estime ou l’admiration du maître du logis (ce qui n’est point commode), quelques confrères en littérature, des hommes politiques, des historiens, des militaires : le général des Garets, M. Maurice Spronck, M. Germain Bapst, le marquis de Saporta, le vicomte d’Avenel, M. Gaston Deschamps, et quelquefois, M. Louis Bertrand, cet autre « rembûché. » Pourtant j’oserai dire que, dans ce milieu parisien, M. de la Sizeranne m’apparaît toujours, sinon comme un étranger, du moins comme