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l’exploitation du verdict. Deux lettres d’Henri VI étaient adressées, l’une aux souverains de la chrétienté, l’autre aux prélats, aux nobles, aux villes de France. Un message de l’université parisienne visait le pape et les cardinaux. Et toutes ces lettres annonçaient, comme une grande victoire pour Dieu, la fin de la « misérable femme » qui avait avoué le caractère malin et décevant de ses « voix, » et elles osaient accuser expressément celle qui en appelait au pape, d’avoir refusé au pape obéissance. Les universitaires gémissaient sur la multiplication des « faux prophètes, » indice de la prochaine fin du monde : ils avaient du moins fait un exemple, dans la personne de Jeanne, et ils s’en réjouissaient. Et sur les lèvres de l’inquisiteur général de Paris, prêchant le 14 juillet en l’église Saint-Martin des Champs, se déroulait un long réquisitoire contre la Pucelle, cette homicide de la chrétienté, qui dès l’âge de treize ans inquiétait tellement ses père et mère que volontiers ils l’eussent fait mourir !

Anglais et Bourguignons triomphaient : en face de leurs conclurions, le silence de certains personnages augustes ressemblait à un assentiment. Regnault de Chartres, le chancelier, avait naguère, à Poitiers, entendu la Pucelle : le jugement de Rouen retentissait comme une offense aux enquêteurs de Poitiers ; mais Regnault se taisait, bien qu’il fût, comme archevêque de Reims, le métropolitain de Cauchon. Les Anglais, d’ailleurs, n’avaient pas craint qu’il parlât : car ils connaissaient l’étrange lettre pastorale dans laquelle il avait présenté les infortunes de Jeanne comme une punition de son orgueil, de ses riches habits, de son attachement à sa volonté propre. Charles VII, pour qui Jeanne avait lutté, pour qui Jeanne était morte, se taisait aussi. Il y a, dans les archives du Vatican, des suppliques de 1431, adressées au pape par Charles et les prélats de sa Cour, et ces archives gardent la preuve que Pierre de Versailles, un des examinateurs de Poitiers, était à Rome en novembre 1431 ; mais on n’y a pas encore trouvé la trace d’une voix française qui se soit élevée pour Jeanne, d’une épître française qui ait répété à l’adresse du Pape l’appel formulé par les lèvres de Jeanne.

On se demande, d’ailleurs, quelle réponse aurait pu, sur l’heure, faire le malheureux Eugène IV. Une multitude de soucis l’obsédait. Aux portes de son bercail, la brebis grecque