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A travers un siècle de gloire éblouissante, et lentement éteinte, et soudain rallumée, les Méditations sont venues à nous ; et nous pouvons, semble-t-il, les estimer à leur valeur sans les surfaire et sans les rabaisser. Nous pouvons alléger ce petit recueil, déjà si peu lourd, et, de vingt-quatre pièces, n’en retenir que huit ou dix. Mais ces huit ou dix courts poèmes, l’Isolement, le Soir, le Vallon, le Souvenir, le Lac, l’Automne, et quelques autres, se classent dans le tout petit nombre des chefs-d’œuvre complets où se combinent harmonieusement le génie individuel, la sensibilité d’une époque, et l’aspiration de l’éternelle humanité.

Ils placent Lamartine aujourd’hui, et, j’aime à croire, pour jamais, parmi nos classiques du premier ordre.

Je ne prends pas le mot de « classique » dans un sens vague ; je n’entends pas par-là signifier seulement une œuvre qu’on ne discute plus, et qu’on n’a plus qu’à essayer de comprendre, une œuvre qu’on propose à l’étude de la jeunesse, et dont on fait emploi pour assurer la continuité de la culture à travers les générations successives. Je veux dire quelque chose de plus précis. Trois quarts de siècle et deux révolutions littéraires nous séparent du Romantisme. Nous commençons à avoir assez de recul pour embrasser d’un regard classicisme et romantisme, et par-dessous les diversités qui les opposent, apercevoir les identités qui les relient. Les romantiques ont eu beau se proposer de prendre en tout le contrepied des classiques : la tradition s’est continuée, quoi qu’ils en eussent. C’est que la tradition n’est pas une doctrine qu’on est libre de suivre ou de ne pas suivre. C’est quelque chose d’intérieur qui ne s’efface pas plus que l’hérédité chez les êtres vivants. La tradition, c’est vraiment l’hérédité artistique ou littéraire. On ne s’en débarrasse pas comme on veut ; et les plus échevelés des romantiques, dans toutes leurs cabrioles, n’ont pas cassé la corde qui les attachait au passé ; ils n’ont pu que gambader autour du piquet. Avec toute la truculence de sa forme, un drame de Hugo ressemble plus, par sa carcasse, à une tragédie de Voltaire, qu’à un drame de Shakspeare ou de Schiller. Si la tradition tient ainsi empoignés les plus rebelles, à plus forte raison ne làche-t-elle pas ceux qui, sans souci de s’insurger, ne songent qu’à s’exprimer.

Lamartine, donc, dans ses Méditations, est un classique. Il