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nos gouvernements. Américains et Anglais s’installaient près de chaque camp, qu’ils s’étaient partagés, et la nourriture, fournie par l’Amérique, payée par la France, arriva en suffisance. Les officiers français, qui parlaient tous le russe, circulaient de camp en camp. Dans chacun d’eux nous avions mis quelques officiers russes de choix pour tâcher de maintenir l’ordre et chercher à exercer quelque influence sur leurs compatriotes. Ce dernier desideratum fut rarement rempli. Le vent de folie qui ravageait la Russie soufflait aussi dans les camps. Les meneurs révolutionnaires, là comme partout, prenaient le dessus et entraînaient la masse. L’action des officiers français, à qui leur connaissance de la langue facilitait le contact, se multipliait pour exhorter au calme et à la patience. En fait, grâce à l’action de tous les officiers alliés et à l’approvisionnement régulier, nous n’eûmes de révolte nulle part et nous pûmes même éviter un exode en masse vers la Pologne que nous craignions au retour du printemps.

Mais, en revanche, nos efforts pour le rapatriement échouèrent totalement. Nous n’avons pas dû rapatrier 30 000 Russes. Personne ne voulait les laisser passer, personne ne consentait à les recevoir. La Pologne s’y refusait radicalement. Elle prétendit même nous repasser, pour que nous les évacuions par mer, les quelques dizaines de milliers de prisonniers russes qu’elle détenait chez elle, où les Allemands les avaient laissés. Nous n’avions plus à nous occuper des anciens soldats russes devenus polonais. Les prisonniers de cette catégorie avaient été rapatriés depuis longtemps, grâce à l’activité du consul général de Pologne à Berlin, qui se multiplia et, avec mon appui, avait presque complètement terminé sa tâche lorsque notre commission fut formée. La Tchéco-Slovaquie aurait bien pris des Russes, à condition d’être aidée par l’Entente et surtout de pouvoir les évacuer à mesure. Nous fîmes des études pour le transport par le Danube vers la Mer Noire. Tout était prêt comme moyen de transport et organisation du mouvement. Mais la Roumanie se refusa catégoriquement à voir ces transports transiter chez elle.

Puis, une fois sur la Mer Noire, qu’en aurait-on fait ? Les généraux russes qui combattaient le bolchévisme ne voulaient pas entendre parler de cet appoint. Ils le jugeaient trop dangereux et ils n’avaient pas tort. Ils nous demandaient de trier les