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Ainsi s’exprime la Chronique de l’établissement de la fête du 8 Mai, écrite quinze ou vingt ans après la délivrance d’Orléans[1]. Un chanoine plus qu’octogénaire, Jean Baudet dit de Mâcon, semble en avoir été l’auteur. « Par aventure, insistait-il, il y a pour le présent des jeunes gens qui pourraient à grand’peine croire que les choses soient ainsi advenues ; mais croyez que c’est chose vraie, et bien grande grâce de Dieu ! » Les petits Orléanais qui n’avaient pas vu, de leurs yeux, la « grande grâce, » devaient donc continuer à la fêter, bien ponctuellement, en dépit des juges de Rouen.


On ne se souvenait du premier verdict rouennais que pour organiser, quelque temps après les alléluias du mois de mai, d’autres prières, douloureuses celles-là. A la veille de chaque Fête-Dieu, dans son église de Saint-Samson, la cité orléanaise, officiellement, faisait célébrer pour Jeanne un service funèbre. Quatre grands cierges, douze tortils, un flambeau, — neuf livres de cire en tout, — éclairaient de leurs incandescences le deuil du sanctuaire, et chacun des quatre grands cierges portait quatre écussons peints aux armes de Jeanne. Et dans la même matinée huit religieux des quatre Ordres Mendiants chantaient, en leurs églises respectives, huit messes des morts. De tous les points de la ville, l’invocation s’élevait pour Jeanne, et vers Jeanne. Il ne restait, ici-bas, aucune relique d’elle : l’Anglais avait tout brûlé, tout dispersé, et se flattait d’avoir aboli sa gloire. Mais Orléans savait où chercher Jeanne, où la trouver.

Le drame sacré, d’ailleurs, était là, pour rapprocher ciel et terre, et pour faire redescendre Jeanne sur cette terre d’où l’Anglais avait voulu l’effacer. Le quinzième siècle fut le grand siècle des mystères, qui naissaient de l’autel et ramenaient les foules au pied de l’autel. Le siège d’Orléans devint le sujet d’un Mystère de 20 529 vers. Il semble que dès 1435, et derechef en 1439, une première ébauche en fut représentée[2]. Entre 1430 et 1435 s’attardait « sans cause, » dans Orléans, gaspillant l’argent, et goûtant fort « les jeux, farces et mystères, » le maréchal Gilles de Rais, ancien compagnon de Jeanne, et qui avait vraiment, lui, quelque chose de diabolique, puisqu’il allait peu de temps après devenir le macabre

  1. Ayroles, La vraie Jeanne d’Arc, III, p. 308-309.
  2. Guessard et Certain, préface de l’édition du Mystère. Paris, 1862.