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son admiration pour Jeanne, aucun engouement féministe.

Il est vraisemblable que cet Allemand se serait complu dans l’évocation d’une Pucelle extrêmement brutale, s’il n’avait eu sous les yeux les pages nuancées, attendries, de ses confrères français, un Poiré, un Caussin ; il les citait au sujet de ce « vase d’élection dans lequel l’Esprit Saint répandait abondamment ses dons, surtout celui de force, » et puis il concluait :


Mandée par Dieu pour arracher à l’extrême ruine le royaume des Gaules, Jeanne mérite d’être comptée parmi les tout premiers exemples de femmes illustres : Vierge, et admirable de beauté, chaste parmi les soldats, sainte dans la vie des armes, pure parmi les dangers, inébranlée parmi les âpres mêlées, porte-drapeau des soldats, victorieuse parmi les calomnies, pleine de vie au milieu des flammes.


Et Jeanne, par, sa vie, donnait en trois points trois leçons. Elle attestait la puissance de Dieu, qui se sert des brebis pour terroriser les lions. Elle témoignait, par sa bonté pour les pauvres, que « les palmes de gloire se cueillent sur l’arbre de la miséricorde. » Elle remontrait aux jeunes gens, par son exemple, qu’il fallait haïr lits de plume et coussins.

Par sa mort, aussi, Jeanne prêchait, et Pexenfelder interprétait son langage : « Malheur aux juges, s’écriait-il, lorsque, préoccupés de la faveur des grands et des princes, ils condamnent des innocents comme coupables ! Que de fois les tribunaux défaillent en faveur du riche, du noble, du puissant, de qui l’on espère un office ou un bénéfice ! »

Le Jésuite, avant de descendre de chaire, voulait laisser à ses auditeurs une impression visuelle : derechef, les ramenant sous le beau portique, il y faisait surgir Jeanne, casquée, cuirassée, drapée dans un manteau militaire, sa houlette dans une main, son épée dans l’autre Un piédestal grandissait sa stature ; et Pexenfelder, pieusement agenouillé, y gravait une inscription, sur laquelle Jeanne elle-même parlait. Jeanne disait aux passagers du portique :


Protection de la Gaule, terreur de l’Angleterre, soldat dans un corps de pucelle, homme dans un corps de femme, sur l’ordre de Dieu, je quittai les bergeries pour les camps ; je tombai de cheval dans un fossé, et ma chute prit place parmi les catastrophes éclatantes ; les ennemis en désordre étaient taillés en pièces, lorsque la fortune, sans flèche, me précipita ; et jusqu’à la fin j’attestai dans le feu la foi jurée