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ne permettait pas qu’« elle ébranlât, par les principes insensés de quelques-uns de ses écrivains, les fondements de la religion et des mœurs, » Les auditoires catholiques sur lesquels planaient ces harangues devaient garder cette impression, qu’ils avaient à continuer l’œuvre de Jeanne, en « boutant, » à leur tour, l’esprit anglais hors du sol français. Dans les luttes contre le « philosophisme, » le souvenir de Jeanne, évoqué par la chaire orléanaise, faisait front à ces courants d’idées auxquels les Lettres philosophiques de Voltaire avaient jadis ouvert la France.


VI. — UN COLLABORATEUR DE LA PIÉTÉ ORLÉANAISE : BONAPARTE

Orléans, sous la Révolution, connut une grande souffrance : l’administration départementale exigea qu’on fit disparaître la Déposition de Croix où figuraient Jeanne d’Arc et Charles VII. Comme les processions elles-mêmes, cette image devait succomber. « Mais il n’y a pas là un signe de féodalité, objectait douloureusement le conseil général de la commune ; ce n’est qu’un acte de reconnaissance envers l’Être suprême. » Il n’importait : on voulait des canons, et ce monument était de bronze. Un des canons fut baptisé du nom de Jeanne d’Arc, pour attester la ténacité des souvenirs.

Mais, en 1802, dès que le Concordat eut rendu la paix à la France, Orléans voulut, sur une de ses places, revoir la Pucelle. Une souscription s’ouvrit, pour les frais du monument nouveau. « Quel moment plus propice, lisait-on dans l’appel, que celui où le guerrier pacificateur a réuni les débris de nos autels dispersés, rappelé des ministres errants et proscrits, et rétabli sur ses bases inébranlables le culte antique et sacré qui produisit tant d’hommes illustres et d’intrépides guerriers ! » On eut bientôt une réponse, dont l’instigateur avait nom Bonaparte. Il ordonnait qu’on fît savoir au maire d’Orléans que ce projet de monument lui était très agréable. « L’illustre Jeanne d’Arc, déclarait-il, a prouvé qu’il n’est pas de miracle que le génie français ne puisse produire, dans les circonstances où l’indépendance nationale est menacée[1]. » L’évêque Bernier, qui avait aidé au Concordat, jugea l’heure propice pour le

  1. Correspondance de Napoléon, VIII, p. 197.