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Aussi n’est-ce pas sans une curiosité facilement explicable que nous devions accueillir les Mémoires de l’homme qui fut pendant les quinze dernières années le chef et la cheville ouvrière du mystérieux bureau. S’il y a eu, au cours de la guerre, beaucoup de noms plus célèbres ou plus retentissants que celui de M. Otto Hammann, si celui-ci n’a eu à jouer, morne comme publiciste, qu’un rôle de second ordre et hors de toute comparaison avec celui des « as » de la presse, des maréchaux de l’opinion, comme Maximilien Harden ou le comte de Reventlow, en revanche, peu de personnes étaient mieux placées pour connaître le dessous des cartes que ce discret fonctionnaire et ce mécanicien occulte de la grande machine impériale ; nul ne devait en posséder comme lui les secrets ressorts ni être plus à même de nous introduire dans les coulisses. Il est vrai que les deux volumes qu’il vient de publier ne contiennent que la première partie de ses souvenirs et s’arrêtent une dizaine d’années avant la crise, au moment du fameux voyage de Tanger et de la conférence d’Algésiras, qui fut le premier symptôme avertisseur de la tempête ; mais cette période est d’un intérêt capital, c’est celle qui explique les origines du conflit. Les historiens ne se lasseront pas d’y chercher la suite des incidents qui ont rempli l’intervalle entre les deux guerres et rendu la seconde fatale comme une conséquence inévitable de la première.

Cette histoire d’un temps qu’on pourrait appeler le prologue de la guerre, est celle que nous raconte l’ancien chef de bureau de la Wilhelmstrasse. Faut-il dire que son dessein est de nous montrer une Allemagne pure de tout reproche et punie sans raison pour les crimes d’autrui ? L’intention apologétique est ici évidente, bien qu’habilement dissimulée sous la forme « objective » de Mémoires historiques. L’auteur semble s’effacer pour ne laisser parler que les faits. Le but est de faire voir que les fautes ont partagées, que les causes de la guerre sont complexes et lointaines et remontent bien au-delà des funestes journées de juillet 1914 ; dans cette multitude d’épisodes compliqués, où la guerre déjà couve à l’état latent, les torts se mêlent et s’embrouillent ; il devient difficile de discerner le vrai coupable. La question des responsabilités se déplace, se dilue jusqu’à s’évanouir. Cet artifice est fort adroit : le plaidoyer se cache, la méfiance n’est pas éveillée. On croit avoir affaire à une histoire de bonne foi. Çà et là quelques anecdotes, des por-