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nistres. Cette « gaffe » incommensurable n’est alors qu’un produit de la manie allemande de régenter le monde et de se faire, comme dit Bismarck, les « pions de l’univers. » Elle laissa entre les deux peuples un malaise long à se dissiper. Cependant les gouvernements jugeaient bon d’en finir. C’était l’époque où l’Angleterre comprenait qu’il fallait sortir de la « splendid isolation, » et le ministre Chamberlain parlait dans un discours « de la naturelle alliance de l’Angleterre avec l’Allemagne. » Mais Holstein n’y voulait pas croire. Il se méfiait de Carthage et cherchait au contraire à se rapprocher de la Russie. Fausse application du principe bismarckien, qu’il est bon d’avoir toujours deux fers sur le feu. L’Angleterre se découragea, l’occasion fut perdue.

Même mésaventure avec la France dans l’affaire du Maroc. M. Rouvier, après Tanger, avait proposé à l’Allemagne de s’entendre entre soi, avant la conférence. Holstein, toujours inquiet, tenait à sa conférence : toujours pour ne pas faire « le jeu de l’Angleterre, » et pour n’être pas celui « qui tire les marrons du feu, » il voulait le débat public et général. Il était persuadé d’ailleurs, on ne sait pourquoi, que la France, dans cette affaire, était le paravent de la Russie. Il ne pouvait se figurer qu’elle allait, après Fachoda, se réconcilier avec l’Angleterre et que le Maroc ferait les frais de la combinaison. Cependant, le temps passait. La conférence eut lieu. On sait ce qui arriva.

Est-il vrai que le pauvre Holstein ait joué le rôle exorbitant que lui reproche notre auteur ? Est-il vrai que pendant quinze ans un sous-secrétaire d’État, un simple commis, un subalterne, ait été, sans qu’on s’en doutât, la toute-puissante Éminence grise, le mauvais génie de l’Allemagne ? On jugera sans doute cette peinture fort exagérée. On ne peut nier en histoire l’action des causes fortuites et des infiniment petits : il est ordinaire aux vaincus d’expliquer par là leurs malheurs. En réalité, il y avait en Europe une situation qui dépasse de beaucoup l’importance d’un chef de bureau. C’est la situation créée il y a cinquante ans, dans la galerie de Versailles, par la victoire de l’Allemagne. Le prince de Bülow s’est écrié un jour qu’on n’avait jamais vu à aucune époque de l’histoire tant de grands États subsister ensemble dans le monde. Cette situation était fragile : il devait venir un instant où l’équilibre serait rompu. Le jour où l’Allemagne, emportée par un vent de triomphe,