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pauvre enfant et qu’on l’emmenât sur une brouette. Le poète Rustique, au lieu d’attendre sa visite ennuyeuse, était allé se promener ; ne sachant « ce qu’il butinerait pour en faire de la poésie, » il avait longtemps rêvé sur la plante que les frimas n’atteignent point, le lierre. Il y a du lierre au fronton des Visitandines, à Orthez, le plus beau qu’on ait vu ; il y en a, au cimetière de Pau, sur une dalle qui couvre la dépouille d’une dame qui s’appelait Éléonore ; il y en avait sur la maison qu’habitait, avant son mariage, le poète Rustique : « derrière ce voile de deuil, accroché aux vieilles pierres, il avait laissé de l’amertume et de la gloire, des humiliations et des rêves, de la folle gaieté, des désillusions et des larmes ; mais aussi il avait reçu, dans la canicule de juin, la visite du Christ… » Maintenant, il rentre chez lui. Sa femme lui annonce l’accident de ce jeune poète défroqué ; un domestique du voisinage l’a donc emporté sur sa brouette ? il répond : « Tu vois bien, mon amie, que la Providence veille à tout. » Sa piété n’est pas samaritaine.

Il a séparé une fois pour toutes les bons et les méchants, comme faisait Charlemagne quand il visitait les écoles du palais et comme fera Dieu le père au jour du jugement. Mais Charlemagne souriait, dans sa barbe fleurie ; et, quant au jour du jugement, c’est affaire à Dieu. Le poète Rustique prend les devants et distingue déjà les deux classes des justes et des réprouvés. Il est content de son petit garçon, qui n’est pas moins sévère et, galopin, sait écarter, « comme dans le Dies iræ qu’il ne connaît pourtant pas, le bouc de la brebis. » Entre les bons et les méchants, il y a ceux qui, n’étant ni exactement bons ni tout à fait méchants, sont le plus grand nombre et sont dignes de quelque amitié. Comme son petit garçon, le poète Rustique les ignore et, impitoyablement, tient à les ignorer.

C’est qu’il a simplifié tous les problèmes, depuis le jour que sa conversion lui a résolu le problème principal. Et il a simplifié sa vie, pareillement. Au regard de Dieu, je veux bien que, simplifiée ainsi, sa vie soit excellente. Mais voici le livre de sa vie ; et, puisque c’est le livre d’un poète renommé, qui n’a point renoncé à la littérature, voici la littérature de la vie simple. J’ai regret de le dire : ce n’est presque plus rien du tout ; et quel dommage !

Le poète Rustique note, dans son Almanach : « Les poètes pompeux, — comme ils le sont trop, à l’habitude ; mais d’aucuns se plaignent que je ne le suis pas assez… » On a grand tort, si l’on reproche à M. Francis Jammes de n’être pas un poète pompeux : il a été un charmant poète et, quelquefois, un grand poète, d’une simpli-