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moins que rien, si nous ne sommes pas chargés du relèvement des apaches ou de leur mise en lieu sûr.

C’est moins que rien : et je le dis résolument. La vie des apaches, et avec toutes ses aventures, ses cambriolages, ses meurtres, avec tout son risque et son épouvante, c’est encore de la vie simple et ennuyeuse à force de simplicité. Le héros de L’équipe, Marcel Bouve, dit le Capitaine, les idées qui le tourmentent ne sont qu’à peine des idées… Aimeriez-vous mieux le roman d’un philosophe ? Mais oui !… Les philosophes sont ennuyeux ? C’est Marcel Bouve, qui m’ennuie, avec ses projets de tuer, sa morne manie de tuer, son bavardage de voyou, ses silences d’ivrogne triste et ses façons de bête sournoise.

En définitive, la très ingénieuse analyse de M. Francis Carco ne trouve quasi rien dans l’âme de Marcel Bouve, dit le Capitaine, un gaillard pourtant, l’élève et le continuateur des grands maîtres. Il a connu José le Naufragé. La nuit que ce José a tué le Brûleur au pont de Flandre, ce chef illustre est venu au cabaret. Le sang lui coulait de l’épaule, le long du bras ; il a pris un verre, il y a fait couler du sang qu’il a mêlé à de l’absinthe et il a dit au jeune Marcel : « Bois ! » Le jeune Marcel a bu et, depuis lors, il a du sang de meurtrier fameux dans les veines. Ce Marcel Bouve a tué à son tour un certain Bobèche, coupable de lui avoir détraqué son équipe durant les cinq mois qu’il était en prison. L’assassinat s’est fait, comme une espèce de duel immonde, sur les berges de la Seine : et l’on a jeté le cadavre dans l’eau du fleuve. Puis, du temps passe ; et Bouve ne pense plus à Bobèche. Mais, un soir qu’il rôde avec la Marie Bonheur, sa compagne, une vieille femme l’accoste et commence une jérémiade : elle supplie Bouve de lui dire où il a mis Bobèche. Et c’est la « viocque, » — la mère, — de l’assassiné. Bouve détourne la tête ; il lâche le bras de la Marie Bonheur ; il enfonce ses deux mains dans ses poches ; il épie les gens qui vont et viennent. La bonne femme insiste et veut savoir où l’on a mis le cadavre de son garçon. Bouve essaye de ne pas répondre ; et d’abord il se tait ; bientôt il parle un peu et dit enfin : « Pleurez pas, grand’mère ; on va vous accompagner à votre métro. » La vieille n’a aucune intention de vengeance : mais elle veut savoir ; et elle crie. Alors Bouve la menace de ses deux poings levés. Elle a peur : et il se sauve sans lui avoir fait le moindre mal.

Et c’est tragique !… N’est-ce pas ?… Mais ce tragique-là vous a vite lassés, ou je me trompe. Est-ce que je me trompe, si je crois difficile de s’intéresser à Marcel Bouve et à la « viocque » de Bobèche ? Ce sont des brutes qui ont des âmes, à ce qu’on dit, des âmes où les