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Rustique ; mais, si le poète Rustique a résolu de ne me confier que ses ennuis relatifs à la vie chère et à la crise du logement, les aventures de la petite femme et les plaisirs de sa frivolité me tentent bien davantage.

Il n’est pas absurde de supposer qu’entre les villageois et les apaches une société polie a quelque intérêt, — que le poète Rustique me pardonne ! — pour le psychologue et le moraliste. Les inquiétudes relatives à la vie chère et à la crise du logement, si légitimes, ne relèvent pas de la psychologie ; et l’on serait content de savoir que nos administrateurs s’en occupent, non pas nos poètes et nos romanciers. Quant aux âmes ou aux semblants d’âmes de Marcel Bouve et de la Marie Bonheur, on y cherche des sentiments comme des roses dans une terre inculte. Et le moraliste n’a rien à faire avec le poète Rustique, trop parfait, ni avec les apaches de M. Francis Carco, ceux-ci trop immondes.

Puis, c’est une erreur aussi de limiter au monde, aux salons et aux garçonnières l’espace qu’il y a entre la vie simple des patriarches et la vie simple des apaches. Si les romanciers se mettent à ne nous peindre que des anges ou des bêtes, il reste à nous peindre l’homme qui, n’étant ni ange ni bête, n’est pas nécessairement non plus un coureur de ruelles ou un danseur de tango. Le poète Rustique enseigne à son petit garçon l’art de séparer les bons et les méchants ou, comme il dit avec le Dies iræ, les boucs et les brebis. Entre les boucs et les brebis, il y a l’heureuse quantité des autres animaux. M. Jammes ne veut plus que mener au pâturage ses brebis bêlantes ; et Carco lance dans les faubourgs des grandes villes ses boucs à l’odeur forte. Ce sont deux littérateurs excentriques.

Or, la littérature, aujourd’hui, recherche l’excentricité. On dirait qu’elle part de ce principe que tout a été dit, sur les quartiers où demeurent les gens du monde, les tranquilles bourgeois et les divers ouvriers qui ne travaillent ni du couteau à virole ni de la houlette enrubannée. C’est une erreur et qui sera bientôt fâcheuse.

Je voudrais que la littérature consentît à être un peu plus réfléchie, moins nerveuse et impatiente, moins curieuse de nouveauté singulière. Ce n’est que faute d’attention qu’elle renonce à regarder encore ce que d’autres ont regardé, ce qu’ils ont vu, ce qu’ils ont peint, ce qui est le fonds le plus riche et le fonds propre de la littérature, l’homme qui n’est ni bête ni ange, ni bouc ni brebis, l’humanité moyenne et ses passions, ses défauts dignes de reproche, ses malheurs dignes de pitié. Mais il lui faut du pittoresque : et elle se