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teutonique a infligées aux Alliés, et l’état dans lequel la guerre a laissé la France, l’Italie, la Serbie, pour ne parler que des trois nations le plus durement éprouvées ? Par quel étrange renversement de l’ordre naturel de la pensée, M. Keynes ne cesse-t-il de se demander comment les Allemands pourront payer ce qu’ils doivent, sans jamais se poser la même question pour les Alliés ?

Comment comprendre les lignes suivantes, dans lesquelles l’auteur s’exprime plus violemment sur le traité et ses rédacteurs qu’aucun Allemand n’a osé le faire jusqu’ici : « Les vertus les plus ordinaires chez le simple particulier font souvent défaut aux hommes qui sont les porte-parole des peuples : un homme d’Etat qui représente sa nation pourra se montrer, sans encourir un blâme trop sévère, vindicatif, perfide, égoïste. Ces qualificatifs s’appliquent à bien des traités, mais la délégation allemande n’a pas réussi à exposer, en des paroles ardentes et prophétiques, le caractère essentiel qui distingue le traité de Versailles de tous ceux qui l’ont précédé dans l’histoire : son manque de sincérité. » M. Keynes considère donc que les Allemands eux-mêmes se plaignent moins que lui, et il se charge d’être leur avocat.

Est-ce vraiment à un Anglais qu’il sied de présenter un plaidoyer pareil, au lendemain de l’effroyable lutte, pendant laquelle les armées du Kaiser marchaient en répétant : « Gott strafe England ! Que Dieu punisse l’Angleterre ! » La charité évangélique est une belle chose, et l’oubli des injures une vertu : encore a-t-on le droit, avant de la pratiquer, de chercher à connaître l’état d’âme de l’ennemi de la veille. Mais nous n’insisterons pas sur ce côté de la question, qu’éclairerait cependant d’une façon bien utile une étude sur la mentalité teutonne de l’heure actuelle. Nous nous cantonnerons sur le terrain économique, où M. John Maynard Keynes, d’après le titre même du volume que nous avons sous les yeux, aurait dû se tenir. Nous le suivrons dans sa critique du traité, à laquelle il a consacré la plus grande partie de son livre ; nous espérons en faire ressortir la fragilité.

Il est urgent que l’opinion publique soit rectifiée : car l’ouvrage s’est répandu dans tout le monde anglo-saxon. Il a passé les mers et se vend aux États-Unis ; il y a du reste été très discuté, fortement critiqué, vigoureusement réfuté. Nous ne