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financières intolérables des épaules des vainqueurs sur celles des vaincus. »

Ce jugement, qui résume les critiques de M. Keynes, nous semble d’une étrange fausseté. Comment ! La Conférence ne s’est pas souciée de la vie future de l’Europe ! Mais ce fut au contraire sa préoccupation dominante. Tout imprégnée des souffrances des nationalités opprimées, telles que l’Alsace-Lorraine, la Pologne, la Bohême, la Transylvanie, le Trentin, elle s’est appliquée, avec une louable énergie, à faire disparaître ces causes permanentes de troubles ; elle a rendu à leur patrie les provinces qui en avaient été brutalement arrachées, elle a donné l’indépendance à celles qui justifiaient leur droit à une vie propre. La Conférence a entrepris là une tâche très simple, lorsqu’il s’agissait d’une Alsace-Lorraine restée indéfectiblement fidèle à des liens séculaires, plus difficile quand elle arrivait à des régions comme la Yougo-Slavie, où les vœux des populations ne se prononcent pas unanimement dans le même sens. Mais, dans tous les cas, c’est bien la vie future de l’Europe qu’elle a voulu régler, en la mettant, dans la mesure du possible, à l’abri des guerres que provoquent des revendications nationalistes.

M. Keynes reproche aux négociateurs « de s’être préoccupés des frontières. » N’était-ce pas là une conséquence naturelle du premier devoir qu’ils remplissaient en cherchant à constituer des États homogènes, peuplés d’habitants unis entre eux et répondant par cela même à la belle définition que Renan donnait un jour d’une nation : « réunion d’hommes ayant la volonté de vivre ensemble ? » Il est vraiment étrange de faire grief à ceux qui étaient alors les arbitres du monde d’avoir cherché à écarter pour l’avenir des sujets de conflit. On peut dire au contraire que le leitmotiv du traité de Versailles, celui qui y reparaît à chaque instant, c’est l’effort le plus scrupuleux qui se puisse concevoir vers une organisation politique conforme aux principes de justice et de liberté, justice pour les États anciens ou nouveaux, liberté pour les individus de s’agréger à la patrie de leur choix.

Quant à « l’équilibre des forces, » nous ne voyons pas que rien, dans l’œuvre de Versailles, justifie le reproche qui lui serait fait d’avoir voulu créer artificiellement des empires d’égale superficie, d’égale population ; de façon que cette égalité constituât un équilibre qui les tiendrait réciproquement en