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d’en ruiner une autre, de détruire ou de diminuer la puissance économique de son adversaire ; que s’annexer des territoires n’est pas augmenter sa puissance, que l’envahisseur est toujours obligé de respecter scrupuleusement les propriétés de l’ennemi, qu’aucune conquête militaire n’est susceptible de supprimer, encore moins d’affaiblir le commerce d’autrui ; que c’est une impossibilité physique et économique que d’arracher à une nation son commerce extérieur.et maritime. « L’émotion que souleva l’apparition de ce volume et la vivacité avec laquelle furent alors discutées ces thèses paradoxales sont tout à fait comparables à l’agitation qui se produit aujourd’hui autour du volume de M. Keynes.

Il est aussi étrange d’entendre ce dernier soutenir que le vaincu ne doit pas endurer les mêmes souffrances que le vainqueur, qu’il était singulier de lire les aphorismes de M. Norman Angell au sujet des inconvénients de la victoire. Habent sua fata libelli. Les livres ont leur destinée. Celui qui nous occupe a commencé par en avoir une très brillante. Nous ne pensons pas que l’avenir tienne pour lui les promesses du début.

Le patriotisme ne doit pas nous rendre aveugles ; il ne nous défend pas d’examiner les arguments de nos adversaires. Mais, de là à prendre ouvertement leur parti, à épouser leurs querelles, à faire d’eux des victimes, il y a un abîme. Comment s’est-il trouvé un homme pour le franchir ? Nous avouons ne pas le comprendre. Ce qui nous confond surtout, c’est le soin avec lequel M. Keynes prétend démontrer que les Germains ne peuvent pas acquitter les obligations qu’ils ont contractées, et la désinvolture avec laquelle il oublie de parler des charges écrasantes qui pèsent sur les épaules de plusieurs des Alliés. C’est sur ces divers points que nous essayerons d’éclairer nos lecteurs.


RAPHAËL-GEORGES LEVY.