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en quittant la Communauté pendant le jour de la fête, précisément, mon cher Hazën, son déguisement le met à l’abri du péché. En prenant l’habit d’un paysan, il cesse pour un moment d’être Juif, comme vous le disiez vous-même. Le Seigneur ne le connaît plus, la Loi ne s’applique plus à lui. Il devient, pour quelques heures, le Chrétien dont il a revêtu la dépouille. Pour quelques heures seulement ! car en reprenant son caftan, il aura la joie de rentrer dans le troupeau d’Israël.

La discussion ainsi lancée aurait pu durer longtemps (il n’est pire calamité qui puisse distraire ces Juifs de leur goût pour l’ergotage et les subtilités casuistiques) si Reb Mosché n’avait fait remarquer que cette dispute était vaine et qu’il fallait d’abord savoir si Léïbélé consentirait à s’aventurer à Smiara.

On envoya chercher le Soldat.

Il était à la synagogue, en train de raconter pour la vingtième fois ses prouesses sur les grands chemins. Sa stupéfaction fut grande de se voir appelé, lui, le chegetz, le méprisé, chez le fils du Rabbin Miraculeux.

Reb Mosché le mit au fait de ce que la Communauté attendait de son courage, ajoutant que, selon Reb Alter, dont chacun connaissait la piété et le savoir, il n’y avait pas de péché, au contraire, dans les circonstances présentes, à monter à cheval, le soir de Schabouol.

Mais Léïbélé se souciait bien des arguments de l’usurier ! Dans son orgueil d’apparaître désormais comme un héros à ses coreligionnaires, il brûlait de s’illustrer plus encore et de montrer à tous ce qu’un soldat du Tsar était capable de faire ! Sans compter qu’il n’était pas insensible à la promesse que la Communauté n’oublierait pas ses services, et que la prochaine quête à la synagogue lui serait remise tout entière.

Il sortit, et au bout d’une heure à peine on voyait apparaître, à la porte du Saint Lieu, un Léïbélé extraordinaire, presque impossible îi reconnaître sous ses habits de paysan. Sus longs paillés relevés disparaissaient sous son bonnet, une blouse de toile blanche était serrée à sa taille par une ceinture en poils de bouc, des culottes bouffantes retombaient sur ses bottes, et il avait une fleur à son chapeau !

A travers lu synagogue, il fut traîné, poussé, porté jusqu’à la petite chambre où se tient le Rabbin Miraculeux. Les