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de voir arriver les sauveurs, leur aurait, s’il avait fallu, donné volontiers la synagogue, hésitait à déclarer trop ouvertement son avis. Tout le monde tomba d’accord que seul, le pieux Zadik, en vertu de sa sagesse divine, pouvait prendre une décision d’une si grave importance et donner à la souka une destination si profane.

Aussitôt, Reb Mosché alla le trouver dans sa chambre. Le vieillard venait de se coucher, aidé de son vieux domestique. Sa bougie brûlait encore sur la table, et cette pauvre lumière tremblante n’avait rien de l’éclat que le grand prophète Elie répand autour de lui, lorsqu’il descend du fond du ciel pour venir le visiter. Sa petite tête d’oiseau, coiffée d’une calotte blanche, disparaissait dans l’oreiller, et son visage épuisé par les jeûnes, les prières pour la Communauté en danger, et les dernières nuits passées à la synagogue, était plus blanc encore que le drap.

— Une écurie dans la sainte souka ! dit-il en regardant son fils comme un malade qui parlerait dans un rêve.

— Mon père, repartit Reb Mosché, que nous y mettions des chevaux ou des Chrétiens, la souillure sera la même.

Et le vieillard eut un geste de la main qui signifiait qu’en effet son fils avait raison, et que, puisqu’il fallait qu’il y eût dans la sainte souka des Chrétiens ou des chevaux, qu’on y mit les uns ou les autres, cela n’avait aucune importance.


Jérôme et Jean Tharaud


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