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Qui lui donnera le Bain ? — « Moi, » dit l’eau vénéneuse — la sueur mauvaise de la Jungle, — « moi, je lui donnerai le Bain ! »

Qui lui chantera les psaumes ? — « Nous, » dirent les Palmes. — « Avant que ne tombe le vent brûlant, — nous lui chanterons les psaumes. »

Qui lui attachera l’épée ? « Moi, » dit le Soleil, — « avant qu’il n’ait fini, — moi je lui attacherai l’épée. »

Qui lui ceindra la ceinture ? — « Moi, » dit la Faim, — « je sais toutes les façons — de serrer une ceinture. »

Qui lui donnera l’éperon ? — « Moi, » dit le Chef, exigeant et bref, — « je lui donnerai l’éperon. »

Qu’est-ce qui lui serrera la main ? — « Moi, » dit la Fièvre, « je ne suis pas trompeuse, — je lui secouerai la main. »

Qui lui apportera le vin ? — « Moi. » dit la Quinine, « c’est mon habitude. — J’accompagnerai son vin. »

Qui le mettra à l’épreuve ? — « Moi, » dit Toute-la-Terre, « quelle que soit sa valeur, — je le mettrai à l’épreuve. »

Qui le choisira pour chevalier ? — « Moi, » dit sa Mère, « avant tout autre, — je le choisis pour mon chevalier. »

Et c’est ainsi que, partant pour l’aventure, — Sire Galahad fut armé… Et ce pourrait aujourd’hui même…


Parmi ces chansons, il en est de particulièrement significatives pour l’histoire du poète. Ce sont les plus simples, presque ternes, mais si pénétrées de sentiment, — celles qui n’ont pour sujet que l’antique, l’immobile campagne anglaise, et semblent essorées, grises, frissonnantes comme des alouettes, de la bruyère et des pâles dunes du Sussex. La guerre du Transvaal était finie, Kipling venait de publier Les Cinq Nations quand il se laissa prendre par les secrets pouvoirs de cette terre, par ses charmes de paix et de confidence, et tout ce qui s’y éternise, pour un Anglais, du monde ancestral. Chez ce grand patriote, ce fut une nouvelle vision de la patrie, un sentiment plus intime et profond du lien qui l’y attache. A l’inverse des Anglais de l’ile, qui sont d’abord de leur paroisse, et dont l’horizon n’arrive que rarement à embrasser tout le domaine national, il avait commencé par connaître l’Empire. Courant les mers, il l’avait retrouvé dans toutes les parties du globe. La patrie lui était apparue dans le présent, et déployée dans l’espace. Maintenant revenu au pays paternel, loin des grandes routes, dans un de ces calmes cantons du Sud où se survivent mieux qu’ailleurs certaines traditions et légendes de la vieille