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Dès lors, le radicalisme apparaît au poète comme l’ennemi intérieur, préparant les voies à l’ennemi du dehors, dissociant l’Angleterre par sa guerre de classes, l’aveuglant à l’évidence du péril, paralysant ses réactions, atrophiant ses organes de défense, pour la livrer impuissante à l’agresseur. C’est le patriotisme de Kipling qui le dresse alors en dénonciateur de la démocratie anglaise. Quelle accusation sous les terribles images de la Cité d’Airain, histoire d’un peuple — du Peuple plutôt, Demos, — que sa folie a précipité à l’abime !


Il s’est imaginé souverain, tout-puissant — à mettre au jour un nouveau monde sans labeur ni douleur, — à décréter : « Nous le préparons aujourd’hui et nous le posséderons demain. » — Il s’est choisi des prophètes et des prêtres de vue brève, — prompts à accomplir et dépasser ses commandements extrêmes, — de l’espèce qui rit des perversions de la Justice, qui adule ouvertement la foule, quelles qu’en soient les convoitises.

Rapidement, ils jetèrent bas les remparts élevés par les ancêtres ; — les inexpugnables remparts d’autrefois, ils les rasèrent et les muèrent — en terrains de plaisir et de loisir, aux portes sans nombre ; — jardins de repos pour les vagabonds, à la place où marchaient jadis les sentinelles. — Et parce qu’il fallait plus d’argent pour leurs crieurs et meneurs, — ils débandèrent à la face de leur ennemi leurs archers, arquebusiers.

Aux craintes de leurs amis, aux rires de leurs ennemis, ils répondaient : — « Paix ! nous avons façonné un dieu qui nous sauvera plus tard ; nous attribuons tout pouvoir aux hommes discutant en leurs factions, — et nous avons donné au Nombre le nom de sagesse infaillible. » — Et ils dirent : « Qui a de la haine dans son âme ? qui a envié son voisin ? — Que celui-là se lève et soit le surveillant de ce voisin et de son travail ! » — Et ils dirent encore : « Qui est rongé par la paresse ? Quel est celui que son indolence a ruiné ? — Qu’il lève un tribut sur tous, puisqu’il n’a travaillé pour personne ! »


Car les hommes de cette cité n’ont pas seulement anéanti leurs défenses matérielles :


…Avec hâte et précipitation, ils ont voulu dévaster, empoisonner à jamais — les sources de la Sagesse et de la Force, qui sont la Foi