Page:Revue des Deux Mondes - 1920 - tome 57.djvu/393

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

étincelante, affaire des déserteurs de Casablanca, maintenant affaire d’Agadir, et, quand l’Angleterre intervient, quelle explosion de fureur teutonique ! Contre l’Angleterre, l’insulte, puis la campagne contre Sir Edward Grey, qu’on voudrait renverser comme, en 1905, on a renversé M. Delcassé ; contre la France, la théorie de la France otage, bientôt la volonté de meurtre qui se déclare, — certains journaux parlant « d’une guerre d’extermination, » d’un ravage qui « noira les mines, » qui « détruira les sources de la richesse française pour cinquante ans. » En février 1912, c’est l’inutile et révélatrice mission de lord Haldane à Berlin ; le vote, au Reichstag, de nouveaux crédits pour la flotte et l’armée, suivi, en avril, d’un nouveau projet naval, et l’année suivante, d’un autre et plus formidable budget militaire. Ainsi finit de se déployer la volonté de puissance qui, depuis 96, a tendu à ses fins avec une logique, une patience qui forcent presque l’admiration. Si éclatants qu’en soient les derniers actes, ils ne suffisent pourtant pas à réveiller une opinion que l’Allemagne, par les visites de son Empereur (1902-1907), par les visites en corps de ses professeurs, pasteurs, bourgmestres, négociants, par l’incessant effort de ses agents, s’est appliquée à endormir.

Mais il est quelques Anglais qui n’ont cessé de veiller et d’avertir, et ceux-là savent que la onzième heure a sonné. En cette dernière année de la paix du monde, ce n’est plus à l’Angleterre que Kipling s’adresse, c’est à la France. Car le temps est déjà passé des longs débats de partis sur les lois militaires et les armements. En 1913, une chose presse plus que tout : l’alliance, et pour les deux pays de se connaître solidaires. Ce n’est pas seulement leur nécessité qui doit les rapprocher. Sous la menace d’un peuple nouveau, qu’ils se rappellent leurs mille années vécues côte à côte, et ce que chacun des deux voisins doit à l’autre de son histoire, de sa civilisation, de son destin ! Cette idée n’est pas une invention de poète : devant la malveillance et la dure rivalité de l’Allemagne, on a pu la voir naitre, se préciser chez les Anglais bien avant la guerre. Je l’entendais s’exprimer, il y a vingt ans, à propos de notre dissentiment sur l’affaire du Transvaal : « Nous y avons été plus sensibles, me disait-on, qu’à toute la bruyante anglophobie germanique. Plus que toute autre, l’opinion française nous importe. Depuis si longtemps nous vivons