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sacrés patrouilleurs en tête du défilé, — et leurs sirènes qui mugissent. — « Dragage terminé. Chenal nettoyé de mines. Renvoyé Unity, Claribel, Assyrian, Stormcock et Golden Gain. »


Quelle brièveté et quelle certitude d’évocation ! Tous ceux qui savent un peu la mer ont reconnu la vie de l’élément, plus sauvage en ces parages du Nord : force profonde, fatale, force cosmique de la marée, et sa spéciale violence en ces mers étroites, basses, qui ne connaissent pas les grandes houles rythmiques, et dont la surface se démonte, « lève » aussitôt que le vent contrarie le courant. Là-dessus, d’émouvants éclairages d’hiver : aube sinistre, fuligineuse journée, et plus lentes, plus interminables que l’aube, les jaunes clartés du crépuscule. Et perdue dans ce chaos, la vigilante volonté des hommes au travail, et leur pensée qui palpite invisiblement par l’espace.

D’autres poèmes tiennent du dramatique, et la passion de guerre s’y exprime directement, avec la haine qu’un ennemi sans loi, tueur de femmes et d’enfants, a fini par enseigner à la plèbe anglaise. Ainsi le monologue de Mrs Embsay, veuve de guerre, dont le fils, aussi, est tombé, et qui, depuis deux ans, travaille dans un atelier de munitions. Assise devant son tour, dans la vibration et le reflet de l’acier, elle laisse aller son rêve en même temps que sa main, qui besogne toute seule à présent. Elle songe à ses morts, à la guerre, au sens qu’a pour elle la guerre, et par-dessous ces visions flottantes qu’interrompt la vue du réel, des longues perspectives de machines, de métal alentour, vient et revient une morne idée fixe : les canons, les canons, et les obus, dont les canons ont faim, qu’ils veulent toujours plus nombreux, pour venger les morts :


Les ventilateurs, les courroies ronflent autour de, moi. — La foire ébranle le plancher autour de moi. — Ça va durer jusqu’à ce que repartent les tours, et que reprenne l’équipe de minuit. — Ah ! c’est cela qu’il me faut : être ici !

Canons dans les Flandres, canons des Flandres. — (J’ai eu un homme qui les a servis.) — Obus pour les canons des Flandres, des Flandres/ Obus pour les canons des Flandres ! Nourrir les canons !

… Les zeppelins, les gothas nous cherchent dans leurs raids. — Nos lampes nous le disent, s’éteignant au-dessus de nous. — (Sept mille femmes qui se taisent, immobiles dans le noir ! ) — Ah ! c’est bon pour moi d’être ici !

Les toits, les bâtisses ont grandi autour de moi, — mangeant peu