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Gaon de Vilna, s’écriait comme Moïse descendant du Sinaï et trouvant les Hébreux rassemblés autour du veau d’or :

« Malheur à vous qui oubliez l’Eternel, et sacrifiez sur les hauts lieux ! Le Dieu terrible de la Loi qu’il n’est permis de se représenter ni par l’esprit, ni par les sens, vous lui donnez un corps et un visage, et vous le mesurez en toises et en parasanges ! Autour de cette idole, vous avez convoqué la foule immonde des divinités païennes. Vos démons et vos anges, ce sont les dieux des peuples étrangers qui vous ont tenus en esclavage et que vous avez ressuscites. Vos synagogues sont devenues un lieu de ripaille et de folie. Et devant l’Arche sainte vous vous abandonnez aux plus abjectes débauches ! »

Ainsi parlait le Gaon de Vilna ; on ne l’écoutait pas. Les Juifs montés dans la charrette du voiturier des Carpathes, n’en sont jamais descendus. Depuis tantôt deux cents ans que le Balchem a paru, et que le Livre de la Splendeur a détrôné le vieux Talmud, toute la juiverie orientale s’est installée parmi les Anges, escalade les cieux, envahit de ses caftans noirs et de son âme agitée les sept palais qui précèdent le parvis où resplendit la gloire de Dieu. Là-bas, au fond des synagogues, la frénésie dure encore. Une familiarité sans borne remplace la terreur sacrée, qui mettait autrefois entre Israël et son Dieu la distance infranchissable qui sépare la terre du ciel. On prie toujours en agitant le corps en avant et en arrière, et en faisant avec les doigts un bruit joyeux de castagnettes pour s’exciter à l’enthousiasme. Là-bas, dans le Saint Lieu, on célèbre toujours les banquets du samedi ; on y fume ; on y boit ; on y cause des choses du ciel et de la terre, car c’est bon pour les idolâtres de se sentir gênés dans leurs temples par la présence des idoles dont ils les ont encombrés. Dieu merci, il n’y a point d’idoles dans la chère synagogue ! L’Eternel, le Dieu des Mondes, habite partout également l’immensité de l’Univers. Sans doute, la sainte Thora est bien là dans l’armoire, derrière le rideau de velours brodé des deux lions de Juda. Mais David dansait devant l’Arche ; et en quoi la sainte Thora peut-elle être blessée parce que des Juifs à qui Dieu l’a donnée, bavardent près d’elle de leurs affaires ? L’Eternel n’a-t-il pas dit : « Tu gagneras ton pain à la sueur de ton front,  » en attendant le jour, du Messie où les arbres porteront des pains ? En quoi cela peut-il choquer l’Eternel qu’une fois la prière finie, on prenne