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Le pouvoir particulier qu’ont les lunettes de distinguer les détails s’appelle leur « pouvoir séparateur. » Ce nom vient de ce que, si on observe dans le ciel ces curieux systèmes qu’on appelle les étoiles doubles et qui sont constitués par deux soleils voisins tournant l’un autour de l’autre, on n’arrive à voir les deux étoiles composantes nettement séparées qu’avec des lunettes assez puissantes. Sinon, les deux points paraissent confondus en un seul. Or on sait, — c’est-à-dire on calcule et on constate. — que ce pouvoir séparateur est d’autant plus grand que l’objectif employé est plus large, et les deux composantes d’une étoile double, vues nettement séparées avec un certain objectif, finissent par être confondues si on met devant cet objectif un diaphragme suffisamment petit.

C’est le même phénomène qui fait que si on trace sur le papier deux lignes étroites et parallèles, il arrive un moment où, en éloignant l’œil suffisamment, elles paraissent confondues. À une certaine distance, on ne sait pas combien un commandant ou un colonel a de galons sur la manche et ces galons indistincts paraissent confondus en une seule plaque dorée. De même, l’œil ne distingue pas directement la fine trame d’une phototopie, qui apparaît au contraire à la loupe.

Semblablement les petites taches distinctes et éparses sur Mars que montrent les grands instruments paraissent, dans les lunettes plus faibles, c’est-à-dire de pouvoir séparateur médiocre, agglomérées, anastomosées, réunies par des lignes.

Mais pourquoi ces lignes apparentes, qui sont donc des illusions d’optique, sont-elles rectilignes et non pas sinueuses ? C’est là un fait non encore très bien expliqué par les physiologistes, mais dont l’existence a été démontrée par de nombreuses expériences. Je n’en rappellerai qu’une seule, — faute d’espace, — qui est due au célèbre astronome américain Simon Newcomb. Newcomb avait dessiné sur un disque blanc une série de taches obscures, distinctes et placées irrégulièrement à peu près de manière à obtenir un aspect grossièrement analogue à l’image de Mars dans une très puissante lunette. Or, un grand nombre d’astronomes renommés et notamment Barnard, placés à une distance de ce modèle telle que le pouvoir séparateur de l’œil fût très diminué, tracèrent de ce dessin, tel qu’ils le voyaient, des images où ces taches séparées paraissaient réunies par des lignes droites. Chose curieuse, c’est précisément ce même Barnard qui, dans la grande lunette de Yerkes, n’avait jamais rien vu sur Mars qui ressemblât à un « canal, » qui fit de ce modèle le dessin le plus ressemblant aux images martiennes de Lowell.