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Quelques jours avant son passage, son Excellence l’Inspecteur, le Contrôleur, le Percepteur, ou le Je ne sais quoi, avertit de son arrivée. Aussitôt, après la prière du matin, on fait une collecte qui peut atteindre le quart ou le cinquième des sommes dues ; on y ajoute un petit cadeau pour l’Excellence en tournée ; et il n’est plus question de rien.

Reste la loi militaire. Ah ! la fâcheuse loi, qui chaque année, au mois d’octobre, fait verser tant de larmes à toutes les mères d’Israël. Vont-ils partir pour la caserne, tous ces tendres enfants, toutes ces brebis bien-aimées ? Va-t-on leur mettre un fusil dans la main, à ces pauvres innocents ? Comment là-bas feront-ils, au milieu des idolâtres, les trois prières du jour et les bénédictions prescrites ? Et que vont-ils manger, Seigneur ! Quels plats préparés par des goyms et dans quels ustensiles ! Quels affreux mélanges de viande et de lait ! Quels dégoûtants morceaux de viande pris sur des bêtes impures ! Pourquoi cinq ans d’exil, mon Dieu, et d’exil sans raison ? Qu’est-ce que le Tsar peut bien avoir à faire de ces pieux enfants chéris ?… Séchez vos larmes, mères désolées. Quel est le général, le médecin-major, dont à quatre ou cinq roubles près, le fameux Délégué à la mairie n’ait pas pesé la conscience ? Et si vous n’avez pas la somme nécessaire pour que votre fils apparaisse à ces messieurs chamarrés du Conseil de Révision, aussi pâle, aussi mince que la mèche de cire dont on allume les bougies le jour du samedi, eh bien ! mais les faux passeports sont-ils donc faits pour les chiens ?

En vérité, je vous le dis, ce n’est pas en Russie, c’est à Sion, à Jérusalem que vivent les fidèles du Rabbin Miraculeux. Et quand, la nuit venue, la lune, amie des Juifs, brille sur les toits de tôle peinte ; que, là-bas, dans le village de la Chapelle Blanche ou de l’Impureté Noire, quelques abois de chiens se mêlent à la flûte et à l’accordéon ; que dans sa chambre lumineuse, le Zadik converse avec le prophète Elie, ou bien tout simplement avec le serviteur qui l’aide à se déshabiller ; que dans le betharnidrasch devenu silencieux, quelques lecteurs nocturnes s’arrachent les poils de la barbe au-dessus des feuillets du Livre de la Splendeur, quel promeneur attardé sur la place de la synagogue, où chaque soir on rassemble pour la nuit les chèvres de la Communauté, quel promeneur ne songerait pas à ces versets d’Ézéchiel :