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remplie de linge, et mis à sa place, dans la prison, un autre enfant. L’aveu échappé, la femme Simon le répéta à tout venant ; elle ne parlait pas d’autre chose. Commérages ou vanteries ? Besoin de se réhabiliter et d’échapper aux reproches de ses compagnes ? Peut-être. C’est un point qu’il serait très important de fixer et on y est aidé par de nombreux témoignages qu’il n’est point possible de récuser : ceux des vénérables sœurs de Saint-Vincent de Paul qui, de 1810 à 1819, c’est-à-dire tout le temps du séjour de la femme Simon, furent attachées à l’hospice et se trouvèrent en rapports quotidiens avec l’ancienne gardienne du Dauphin. Ces témoignages ont été recueillis plus tard, en présence de la supérieure de la Communauté, par les abbés Mathieu et André ; ce dernier, qui est devenu protonotaire apostolique, a publié un cours méthodique de Droit Canon et un dictionnaire de Droit civil et ecclésiastique, ce qui n’indique pas un esprit superficiel, facile à duper et enclin à l’étourderie. Les religieuses interrogées étaient au nombre de quatre : sœur Lucie Jonnis, sœur Euphrasie Benoit, sœur Catherine Mauliot et sœur Marianne Scribes. Leurs relations s’accordent sur les confidences de la veuve du cordonnier : le 19 janvier 1794, on avait amené au Temple, pour le déménagement des Simon, une voiture contenant « une manne d’osier à double fond, un cheval de carton et plusieurs joujoux » destinés au jeune Prince. Du cheval de carton on sortit l’enfant qu’on substitua au Dauphin et l’on mit celui-ci dans un paquet de linge sale qu’on chargea dans la voiture avec la manne… Quand il fallut sortir, les gardiens voulaient visiter la voiture ; mais la Simon se gendarma, les bouscula, criant que c’était son linge sale et on la laissa passer. » Elle ne savait pas, d’ailleurs, en quel lieu on avait conduit le petit évadé ; mais elle avait la conviction qu’il vivait et qu’il porterait un jour la couronne : — « Vous êtes jeune, vous, disait-elle à sœur Lucie ; vous le verrez sur le trône ; mais moi, je suis vieille, je ne le verrai pas… »

Les déclarations de la femme Simon demeurèrent longtemps inconnues ; lorsqu’elles furent publiées, elles dérangeaient considérablement certains historiens ou certains prétendants dont la thèse, établie de longue date sur d’autres données, se trouvait infirmée par ces révélations inopportunes : on s’en tira en proclamant que la pensionnaire des Incurables était une folle,