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fleuri… » susceptible « d’amour brutal et emporté, » entraîné à « manger deux perdrix et quelque rôti, » à « boire, le matin, avant que de sortir, quatre coups de vin pur… » « Tout cela le fait connoître pour un homme très sensuel et fort gourmand…, » etc.

Émile Ollivier, qui se plaisait à causer avec nous des maîtres classiques, reprochait à tous les interprètes du rôle de Tartuffe (quelle que fût d’ailleurs leur interprétation comique ou dramatique du personnage), de ne pas extérioriser suffisamment l’effet théâtral voulu par Molière et qui doit résulter du contraste perpétuel provoqué par les élans sincères d’un homme grossièrement amoureux, en lutte avec des manifestations réflexes de sa « seconde nature, » la bigoterie. Les fougueux élans de Tartuffe sont constamment retenus, transposés au besoin (cela explique le suave langage de quelques répliques du troisième acte) par les hypocrisies habituelles devenues, répétons-le, chez lui, une « seconde nature. » Tartuffe joue, du matin au soir, un rôle auquel il s’est habitué. Il s’oublie, se reprend, se relâche, se reprend encore…, etc., jusqu’à ce que, aveuglé lui aussi par la passion, il se laisse inconsidérément prendre comme un sot.

De tous les Tartuffe que j’ai vus, Leroux, abbé blond, gras et rose, faisait grand effet. Geffroy le jouait comme il jouait Don Salluste ; il le rendait sinistre jusqu’au contre-sens. Bressant me semblait quelconque. Febvre n’y donnait pas grand relief, malgré ses lettres aux journaux. Worms, petit inquisiteur blême, le jouait, rageur, frénétique. Got, tel un bedeau somnolent, etc. De tous ces Tartuffe, dis-je, M. Silvain me semble avoir le mieux rendu « la synthèse » du papelard cauteleux et grassement « opportuniste. » C’est la perfection moliéresque dont on garde un souvenir trouble, mais comique.

Il faudra revenir à la tradition, si caractéristique, de faire tenir le rôle de Mme Pernelle par un homme (M. Denis d’Inès serait admirable de « force » et de compréhension dans ce personnage créé par Hubert) ; ce rôle réclame des poumons d’homme. Les femmes n’ont jamais imprimé le vrai mouvement, le brillant paroxysme auxquels doivent atteindre les deux scènes de cette entêtée. Si elle glapit au lieu de « parler ferme, » il n’y a plus d’accent.

Je puis affirmer que la pièce ne fait plus le quart de « l’effet »