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devient ce genre de curiosités, une fois transportées dans le domaine érotique, et jusqu’où pouvait aller, chez ce « fou de Swinburne, » la manie de l’inouï, de l’excessif et du pervers.

Mais sur tout cela, décidément, la correspondance du poète, telle qu’on nous la met sous les yeux, ne jette que des lueurs obliques, à compléter par ses splendides et ténébreux poèmes. Swinburne n’est pas un auteur à confessions. Lui-même nous avertit qu’il n’a pas d’autre histoire que celle de ses livres. Une seule fois, il lui est arrivé de se départir de son silence et de se raconter avec quelque détail, dans une lettre assez longue adressée à Edward Stedman, le banquier-poète américain, aussi médiocre poète que malheureux banquier, qui lui avait demandé des notes biographiques. Cette lettre était déjà connue. Tous les renseignements que Swinburne y donne sur sa famille ne sont pas d’une rigoureuse exactitude. Elle n’en demeure pas moins le document le plus important que nous ayons sur sa personne et sur ses origines morales. Elle serait à traduire et à commenter tout entière.


Nous sommes, dit le poète, une famille de Jacobites et de catholiques, un tas de rebelles et de proscrits qui, dans toutes les insurrections jusqu’à l’époque de Charles Edouard, ont donné leur sang comme de l’eau claire et leurs terres comme de la poussière pour la cause des Stuarts… Mon grand-père, sir John Swinburne, — un homme dont la vie mériterait beaucoup mieux d’être écrite que la mienne, — fils d’un père naturalisé français et d’une Polignac (drôle d’hérédité pour moi ! ), naquit en France et y vécut jusqu’à l’âge de vingt-cinq ans… Je pense que son catholicisme ne gênait pas beaucoup un contemporain de Voltaire, ami de Mirabeau ; en tout cas, il le jeta promptement aux orties pour entrer dans la politique. C’était naturellement un ultra-libéral, en même temps que le plus enragé cavalier et le plus fin amateur du siècle… Il risqua vingt fois la potence pour haute trahison… On disait de lui que ce qu’il y avait de plus fou dans le pays, c’était son cheval et lui ; et le plus fou des deux n’était pas le cheval, du moins ce n’était pas le plus dur à tuer : car un jour, à la chasse, s’étant fait sauter l’œil droit avec un bon morceau de crâne, il en fut quitte pour se faire trépaner et n’en vit pas moins les enfants de ses enfants, — et toute une collection, encore ! — jusqu’à ce que, ayant atteint en force et en santé l’âge de quatre-vingt-dix-neuf ans, il mourut doucement d’une petite maladie de huit jours.

C’était un vieillard délicieux ; il a été exquis pour moi dans mon