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UN « CARACTÈRE » DE LA BRUYÈRE

L’AMATEUR DE TULIPES


I. — LE FLUTISTE DESCÔTEAUX

Descôteaux est cet original dont La Bruyère s’est servi pour peindre son amateur de tulipes. Vous savez, le fameux passage : Le fleuriste a un jardin dans le faubourg ; il y court au lever du soleil, et il en revient à son coucher ; vous le voyez planté et qui a pris racine au milieu de ses tulipes. Eh bien ! cet homme singulier, debout au milieu d’un parterre diapré de belles fleurs, qui sourit et fait l’entendu, c’est Descôteaux le joueur de flûte, le même qui, — dans la société de Chapelle, — fréquenta chez les quatre amis. Parmi tant de curieux rassemblés par La Bruyère, qui se sont fait une loi de la mode et n’ont d’attachement au monde que « pour une seule chose qui est rare, » il en est peu que l’auteur des Caractères ait décrits avec un tel relief, une vérité aussi saisissante et ce charme de coloris qui enchanta Vauvenargues.

Quand La Bruyère nous fait voir le fleuriste qui « ouvre de grands yeux, » « qui se frotte les mains, » qui n’a jamais vu sa tulipe si belle, ou son voisin l’amateur de fruits cueillant « artistement cette prune exquise, » vous en offrant la moitié et disant : « Quelle chair ! Goûtez-vous cela ? Cela est divin, » on surprend le secret de l’art du nouveau Théophraste et comment, en deux ou trois traits sobres, discrets, mais justes,