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tant de passion, mais qu’une âme sans trouble et un cœur paisible aidaient à se garder des orages, continuait tout tranquillement à jouer seul aux quilles au bout d’une allée. Ah ! ce n’est pas à lui qu’une belle eût pu venir chanter pouilles comme au Barbouillé ! Mais, un petit jardin


…tout peuplé d’arbres verts,


à l’image de celui qu’il venait de décrire dans sa satire des Embarras de Paris, occupait seul son cœur. « Pour le distinguer de ses frères, écrira Louis Racine un jour en désignant l’auteur du Lutrin, on le surnomma Despréaux, à cause d’un petit pré qui était au bout du jardin » de ses parents à Crosnes, son village natal. Cette particularité d’un tour agreste devait plaire à Descôteaux ; mais elle devait enchanter aussi Racine, que le bonhomme La Fontaine a peint, dans sa Psyché, sous le nom d’Acante et dont il a dit, à propos, qu’il « aimait extrêmement les jardins, les fleurs, les ombrages. »

Tant de similitude dans les goûts et de rapports dans les sentiments firent que ces Messieurs n’étaient pas réunis depuis un moment ensemble, qu’ils se mirent a parler qui sur les fleurs, qui sur les arbres, qui sur les arrangements que M. Le Nostre avait entrepris déjà pour Vaux et qu’il projetait pour Versailles. Une saillie de Boileau fit, à ce moment, bien rire ces Messieurs ; c’est quand il rapporta qu’ayant été une fois à la campagne chez Barbin, le fameux libraire, celui-ci l’avait conduit, après le repas, dans un jardin attenant à la maison mais si ridiculement petit qu’il semblait qu’on y étouffât. Et, comme l’auteur des Epitres n’avait eu, aussitôt parvenu dans cet endroit, que l’idée de s’enfuir pour appeler son cocher et rentrer en ville, Barbin lui avait demandé avec surprise où il allait. « Je vais à Paris prendre l’air, » avait répondu Boileau, que l’exiguïté de ce petit domaine avait offensé.

Tout en parlant de fruits, de fleurs, de vigne, enfin de la chose rustique tout au long, ces Messieurs rentrèrent dans la demeure où la servante La Forest, qui suppléait à tout en l’absence de Mlle Molière, commençait de gronder sur le retard des convives. M. Despréaux, dans ce temps-là, avait déjà l’oreille dure et, bien que Descôteaux continuât de lui parler de ses tulipes et de la nécessité d’un terrain sablonneux, modéré, qui convint aux oignons de ces plantes, le terrible railleur ne